Page:Dickens - Olivier Twist.djvu/175

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Les deux vieilles femmes, après être restées quelque temps immobiles, s’éloignèrent du lit et vinrent s’accroupir devant le feu, à la chaleur duquel elles exposèrent leurs mains décharnées. La flamme projetait une lueur sinistre sur leurs visages blêmes, et mettait en lumière leur affreuse laideur ; elles se mirent à causer à voix basse.

« A-t-elle encore dit quelque chose tandis que j’étais dehors ? demanda la ménagère.

— Pas un mot, répondit l’autre ; elle s’est mise à se tordre les bras ; mais je lui ai tenu les mains, et elle s’est bientôt calmée ; elle est à bout de forces, et je n’ai pas eu de peine à la faire tenir tranquille. J’ai encore pas mal de vigueur, voyez-vous, toute vieille que je suis, malgré le régime du dépôt.

— A-t-elle bu le vin chaud que le médecin lui avait ordonné ? demanda la vieille.

— J’ai essayé de le lui faire avaler, répondit-elle, mais elle avait les dents si serrées, et elle mordait si fort le verre, que c’est à peine si j’ai pu lui faire lâcher prise. Pour lors, c’est moi qui l’ai bu, et cela m’a fait du bien. »

Après avoir regardé autour d’elles avec précaution pour s’assurer qu’on ne les écoutait pas, les deux vieilles se tapirent encore plus près du feu et continuèrent leur bavardage.

« Je me souviens d’un temps, dit la première, où elle n’aurait pas manqué d’en faire autant, et même qu’ensuite elle en aurait bien ri.

— Sans doute, reprit l’autre ; elle était joviale. En a-t-elle enseveli des cadavres ! Et blancs comme de la cire. Que de fois je l’ai aidée dans cette besogne ! »

Tout en parlant, la vieille tira de sa poche une méchante tabatière d’étain, offrit une prise à sa compagne, et s’en adjugea une à elle-même. En ce moment, la matrone qui avait impatiemment attendu jusque-là que la mourante sortit de son état de stupeur, s’approcha aussi du feu et leur demanda d’une voix aigre combien de temps il lui faudrait encore rester là à attendre.

« Pas longtemps, notre maîtresse, répondit la seconde femme en levant les yeux ; il n’y en a pas une de nous que la mort ait envie de faire attendre longtemps. Patience ! patience ! Elle arrivera assez vite pour nous toutes tant que nous sommes.

— Taisez-vous, vieille radoteuse ! dit la matrone d’un ton sévère. Dites-moi, Marthe, a-t-elle déjà été dans cet état ?