Page:Dickens - Olivier Twist.djvu/252

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crois que votre bonheur aurait été détruit peut-être, et que votre arrivée ici un jour plus tôt ou un jour plus tard aurait été de bien peu d’importance.

— Pourquoi ce peut-être, ma mère ? reprit le jeune homme ; pourquoi ne pas dire franchement que cela est vrai ? car c’est la vérité, vous le savez, ma mère ; vous ne pouvez pas l’ignorer.

— Je sais qu’elle mérite bien l’amour le plus vif et le plus pur que puisse offrir le cœur d’un homme, dit Mme Maylie ; je sais que sa nature affectueuse et dévouée réclame en retour une affection peu ordinaire, une affection profonde et durable : si je n’avais cette conviction, si je ne savais de plus que l’inconstance de quelqu’un qu’elle aimerait lui briserait le cœur, je ne trouverais pas ma tâche si difficile à accomplir, et il n’y aurait plus tant de lutte dans mon âme pour suivre, dans ma conduite, ce qui me semble la ligne rigoureuse du devoir.

— Vous me jugez mal, ma mère, dit Henry. Me croyez-vous assez enfant pour ne pas me connaître moi-même, et pour me tromper sur les mouvements de mon cœur ?

— Je crois, mon cher enfant, répondit Mme Maylie en lui mettant la main sur l’épaule, que la jeunesse éprouve des mouvements généreux qui ne durent pas, et qu’il n’est pas rare de voir des jeunes gens dont l’ardeur ne résiste pas à la possession de ce qu’ils avaient le plus désiré. Et surtout je crois, ajouta-t-elle en regardant son fils, que si un jeune homme enthousiaste, ardent et ambitieux, épouse une femme dont le nom porte une tache, non par la faute de cette femme, mais enfin une tache que le vulgaire grossier peut reprocher au père comme à ses enfants, et qu’il lui reprochera d’autant plus qu’il aura plus de succès dans le monde, pour s’en venger par des ricanements injurieux, je crois qu’il peut arriver que cet homme, quelque bon et généreux qu’il soit naturellement, se repente un jour des liens qu’il aura formés dans sa jeunesse, et que sa femme ait le chagrin, le supplice de s’apercevoir qu’il s’en repent.

— Ma mère, dit le jeune homme avec impatience, cet homme-là ne serait qu’un égoïste brutal, indigne du nom d’homme, indigne surtout de la femme dont vous parlez.

— Vous pensez comme cela maintenant, Henry, répondit sa mère.

— Et je penserai toujours de même. Les tortures que j’ai éprouvées pendant ces deux derniers jours m’arrachent l’aveu