Page:Dickens - Olivier Twist.djvu/298

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s’occupa si peu de Nancy, que le trouble de celle-ci eût pu être mille fois plus visible sans éveiller son attention.

À mesure que le jour baissait, l’agitation de Nancy augmentait ; quand la nuit fut venue, elle s’assit, attendant que le brigand aviné se fût endormi ; ses joues étaient si pâles, son œil si ardent, que Sikes lui-même s’en étonna.

Sikes, affaibli par la fièvre, était étendu dans son lit et buvait son grog pour se calmer ; c’était la troisième ou quatrième fois qu’il tendait son verre à Nancy, quand il fut frappé du changement qui s’était opéré en elle.

« Le diable m’emporte, dit-il en se soulevant sur son bras pour regarder en face la jeune fille, on dirait un revenant. Qu’as-tu ?

— Ce que j’ai ? répondit-elle. Rien. Pourquoi me regardes-tu comme ça ?

— Qu’est-ce que c’est que ces bêtises-là ? fit Sikes en la secouant rudement par le bras. Hein ? qu’est-ce que ça veut dire ? À quoi penses-tu ? Allons ! Allons !

— À bien des choses, Guillaume, répondit la jeune fille toute frissonnante et se cachant le visage dans ses mains. Mais bah ! qu’est-ce que ça fait ? »

Ces mots furent prononcés d’un ton de gaieté feinte qui produisit sur Sikes une impression plus profonde que ne l’avaient fait les traits décomposés de la jeune fille.

« Écoute un peu, dit Sikes ; si tu n’as pas la fièvre, il se passe quelque chose de drôle dans l’air ; oui, quelque chose de mauvais. Tu n’irais pas par hasard… ? Ah bien oui ! n’y a pas de danger que tu fasses ça.

— Que je fasse quoi ?

— Non, non, dit Sikes en la regardant fixement et en se partant à lui-même. N’y a pas de fille qui ait le cœur plus solide, ou il y a déjà trois mois que je lui aurais coupé le sifflet. C’est la fièvre qui la tient ! voilà la chose. »

Cette idée qu’elle avait la fièvre le rassura, et il avala d’un seul trait son verre ; puis, avec force jurons, il demanda sa médecine. La jeune fille s’élança avec promptitude et versa, en se détournant, la potion dans une tasse dont elle lui fit vider elle-même le contenu.

« Maintenant, dit le voleur, viens t’asseoir là, à côté de moi, et fais-moi une autre mine que ça, ou je t’arrangerai de façon que tu auras de la peine à te reconnaître dans la glace. »

Nancy obéit. Sikes lui serra la main dans la sienne et re-