Page:Dickens - Olivier Twist.djvu/331

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sion. On l’a assigné pour aujourd’hui, car on croit connaître le possesseur de cette tabatière. Ah ! celui-là, voyez-vous il valait cinquante tabatières en or, et j’en donnerais bien ce prix-là pour le ravoir. Je voudrais que vous l’eussiez connu, mon cher ; oui, que vous l’eussiez connu !

— Ah ! mais, j’espère bien le connaître aussi ! n’est-ce pas ?

— J’en doute fort, répliqua le juif, en poussant un soupir. Si on n’a pas de nouvelles preuves, ce ne sera qu’une prévention simple, et il nous reviendra dans six semaines ou à peu près ; sinon, ils l’enverront au pré. Ils connaissent son talent, voyez-vous ; ils en feront un pensionnaire à vie ni plus ni moins.

— Qu’est-ce que vous voulez dire ? au pré, pensionnaire, qu’est-ce que c’est que tout cela ? À quoi ça vous sert-il de dire des choses que je ne peux pas comprendre ? »

Fagin allait lui traduire ces expressions mystérieuses en langue vulgaire, et lui apprendre que cet assemblage de mots voulait dire : déportation à perpétuité. Mais tout à coup la conversation fut interrompue par l’entrée de Bates qui avait les mains dans les poches de son pantalon et une figure déconfite, qui aurait presque donné envie de rire.

« C’est fini, Fagin, dit Charlot, après une présentation réciproque avec Bolter.

— Que veux-tu dire ? demanda le juif, dont les lèvres tremblaient.

— On a trouvé le monsieur de la tabatière : deux ou trois témoins de plus sont venus déposer pour lui et le matois a été enregistré pour la traversée. Vous n’avez plus qu’à me commander des habits de deuil et un crêpe à mon chapeau pour aller le voir avant qu’il s’embarque. Dire que Jack Dawkins, le fin Jack, le malin des malins, là… n’y a pas à dire… pour une mauvaise tabatière de deux sous et demi… Je n’aurais jamais cru qu’on lui fît faire ce voyage à moins d’une montre avec sa chaîne et ses breloques, et encore ! oh ! pourquoi n’a-t-il pas volé la fortune d’un vieux grippe-sou, il serait parti comme un monsieur, et non pas comme un filou vulgaire, sans honneur et sans gloire. »

Après cette oraison funèbre si douloureuse et si pathétique sur le sort de son ami infortuné, Bates alla s’asseoir sur une chaise, de l’air le plus triste et le plus abattu du monde.

— Qu’est-ce que tu veux dire, toi, par sans honneur et sans gloire, s’écria Fagin en lançant un regard de colère à son