Page:Dickens - Olivier Twist.djvu/350

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Ils restaient donc tous deux silencieux, sans échanger une parole avec aucun passant.

La rivière était couverte d’un épais brouillard au travers duquel on apercevait à peine la lueur rougeâtre des feux allumés sur les bateaux amarrés sous le pont ; il était difficile de distinguer dans l’obscurité les bâtiments noircis qui bordaient la Tamise. De chaque côté, de vieux magasins entamés s’élevaient d’une masse confuse de toits et de pignons, et semblaient se pencher sur l’eau trop sombre pour que leur forme indécise pût s’y refléter. On apercevait dans l’ombre la tour antique de l’église Saint-Sauveur et la flèche de Saint-Magnus, ces séculaires gardiens du vieux pont ; mais la forêt de mâts des navires arrêtés en aval et les flèches des autres églises étaient presque entièrement cachées à la vue.

La jeune fille, toujours surveillée par son espion caché, avait arpenté le pont à plusieurs reprises quand la grosse cloche de Saint-Paul annonça le décès d’un jour de plus.

Minuit sonnait sur la populeuse cité, pour les palais comme pour la mansarde, pour la prison, pour l’hôpital ; pour tous enfin il était minuit, pour ceux qui naissent et pour ceux qui meurent, pour le cadavre glacé comme pour l’enfant tranquillement endormi dans son berceau.

Au moment où l’heure finissait de sonner, une jeune demoiselle et un vieux monsieur à cheveux gris descendirent d’un fiacre, à peu de distance ; ils renvoyèrent la voiture et vinrent droit au pont. À peine avaient-ils mis le pied sur le trottoir que la jeune fille tressaillit et se dirigea aussitôt vers eux.

Ils s’avançaient en regardant autour d’eux de l’air de gens qui attendent quelque chose sans avoir grande espérance de trouver ce qu’ils attendent, quand ils furent tout à coup rejoints par la jeune fille ; ils s’arrêtèrent en poussant un cri de surprise qu’ils réprimèrent aussitôt, car, au même instant, un individu en costume de paysan passa tout près d’eux et les frôla même en passant.

« Pas ici, dit Nancy d’un air effaré ; j’ai peur de vous parler ici ; venez là-bas, au pied de l’escalier. »

Comme elle disait ces mots et montrait du doigt la direction qu’elle voulait prendre, le paysan tourna la tête, leur demanda brusquement de quel droit ils occupaient tout le trottoir, et continua son chemin.

L’escalier que désignait la jeune fille était celui qui, du côté de la rive de Surrey et de l’église Saint-Sauveur, descend du