Page:Dickens - Olivier Twist.djvu/366

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avait jeté une couverture sur le cadavre ; mais se représenter les yeux de la victime, s’imaginer qu’ils se tournaient vers lui, était encore plus insupportable que de les voir fixés, immobiles, pour regarder la mare de sang qui tremblait et dansait au soleil, sur le plancher, et il avait retiré la couverture. Le corps était là gisant ; un corps, rien de plus, de la chair et du sang : mais quelle chair et que de sang !

Il battit le briquet, alluma du feu et y jeta le gourdin. Des cheveux de femme étaient restés collés à l’extrémité ; ils s’enflammèrent en pétillant et produisirent quelques légères étincelles que le courant d’air entraîna rapidement dans la cheminée. Cela seul le remplit d’effroi, tout barbare qu’il était. Il continua pourtant à tenir le gourdin, jusqu’à ce que le feu l’eut réduit en plusieurs morceaux ; il les réunit sur les charbons pour les consumer entièrement et les réduire en cendres. Il se lava les mains et frotta ses vêtements ; il y avait des taches qu’il ne put faire disparaître ; il coupa les endroits tachés et les jeta au feu. Toute la chambre était teinte de sang : les pattes même du chien en étaient pleines.

Pendant tout ce temps, il n’avait pas un instant tourné le dos au cadavre. Après avoir terminé ses préparatifs, il gagna la porte à reculons, tirant le chien après lui. Il la ferma doucement, tourna deux fois la clef dans la serrure, la retira et sortit de la maison.

Il traversa la rue et jeta un regard vers la fenêtre, pour s’assurer qu’on ne pouvait rien voir du dehors. Le rideau était toujours baissé, le rideau que Nancy avait voulu tirer pour laisser pénétrer le jour qu’elle ne devait plus revoir. Elle était gisante tout près de la fenêtre : l’assassin le savait. Dieu ! comme le soleil dardait ses rayons dans cet endroit !

Sikes ne jeta sur la fenêtre qu’un coup d’œil rapide ; il se sentit soulagé en pensant qu’il avait pu sortir sans être vu. Il siffla son chien et s’éloigna rapidement.

Il traversa Islington et gravit la colline de Highgate, où se trouve le monument en l’honneur de Whittington ; mais il marchait à l’aventure et sans savoir où il irait. Il prit à droite, suivit un sentier à travers champs, longea Caen-Wood, arriva à la bruyère de Hampstead, franchit la vallée au Val-de-Santé, puis gravit la pente opposée, et, traversant la route qui unit les villages de Hampstead et de Highgate, il gagna les champs de North-End, et se coucha le long d’une haie.

Il s’endormit ; mais bientôt il fut debout de nouveau et se