Page:Dickens - Olivier Twist.djvu/38

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l’air très intéressant, reprit M. Sowerberry. Il ferait un excellent muet[1], ma chère. »

Mme Sowerberry leva la tête en signe d’étonnement ; son mari s’en aperçut et, sans laisser le temps à la bonne dame de placer une observation, il continua :

« Non pas un muet pour accompagner le convoi des grandes personnes, ma chère, mais seulement pour les convois d’enfants ; ce serait une nouveauté d’avoir un muet d’un âge en rapport avec celui du défunt. Soyez sûre que cela ferait un effet superbe. »

Mme Sowerberry, qui montrait un goût exquis dans les questions relatives aux pompes funèbres, fut frappée de la nouveauté de cette idée ; mais comme elle eût compromis sa dignité en approuvant son mari, dans la circonstance actuelle, elle se contenta de lui demander avec beaucoup d’aigreur comment il se faisait que cette idée ne lui fût pas venue à l’esprit depuis longtemps. M. Sowerberry en conclut avec raison que sa proposition était bien accueillie ; il fut décidé sur-le-champ qu’Olivier serait tout d’abord initié aux mystères de la profession, et que, dans ce but, il accompagnerait son maître à la première occasion.

Elle ne se fit pas longtemps attendre. Le lendemain matin, après le déjeuner, M. Bumble entra dans la boutique, et, appuyant sa canne contre le comptoir, tira de sa poche son grand portefeuille de cuir, et y prit un bout de papier qu’il passa à Sowerberry.

« Ah ! dit l’entrepreneur, en le parcourant des yeux d’un air réjoui ; c’est une commande pour un cercueil, hein ?

— Pour un cercueil d’abord, et un enterrement paroissial ensuite, dit M. Bumble en fermant son portefeuille qui était, comme lui, très rebondi.

— Bayton ? dit l’entrepreneur, cessant de lire et regardant M. Bumble ; voilà la première fois que j’entends ce nom-là.

— Des entêtés, monsieur Sowerberry, répondit M. Bumble en hochant la tête ; des entêtés, et des orgueilleux, je le crains.

— Des orgueilleux ? s’écria M. Sowerberry avec un rire moqueur ; pour le coup, c’est trop fort.

— Ça fait pitié, dit le bedeau ; ça fait suer.

  1. On donne le nom de muets (mutes) à des hommes qui se tiennent à la porte d’une maison mortuaire, et qui accompagnent les convois.