Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/109

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man. Martin avait même l’air de croire que c’était une chose toute naturelle, et que M. Pinch ferait bien de suivre son exemple, jusqu’au moment où, désespérant de le réformer, il alla jusqu’à dire que c’était un garçon dont on ne pourrait jamais rien faire : parole terrible, qui fit baisser involontairement les yeux à Tom, car il ressentit un saisissement cruel, craignant d’avoir mérité ce reproche par quelque acte monstrueux, peut-être même d’avoir traîtreusement abusé de la confiance de M. Pecksniff. Et le fait est que le supplice de voir qu’on lui adressât, en présence de la famille réunie, une observation aussi indiscrète, lui tenait lieu de déjeuner : il n’en fallait pas davantage pour lui couper l’appétit pendant le reste du repas, bien que jamais il n’eût été plus affamé.

Les jeunes demoiselles, cependant, ainsi que M. Pecksniff, avaient conservé la plus parfaite sérénité au milieu de ces petites agitations, tout en paraissant avoir entre eux une entente mystérieuse. Quand le repas fut à peu près achevé, M. Pecksniff prit un air souriant pour expliquer ainsi la cause de leur mutuelle satisfaction :

« Il est rare, Martin, que mes filles et moi nous quittions nos paisibles foyers pour nous lancer dans le cercle vertigineux des plaisirs qui tournent au dehors. Mais aujourd’hui, pourtant, nous en avons l’intention.

— En vérité, monsieur ? s’écria le nouvel élève.

— Oui, dit M. Pecksniff, frappant sa main gauche avec une lettre qu’il tenait dans sa main droite. Je suis invité à me rendre à Londres pour affaire qui concerne notre profession, mon cher Martin, strictement pour affaire de profession. Il y a longtemps que j’ai promis à mes filles qu’elles m’accompagneraient en pareille occasion. Nous partirons d’ici à la nuit, en diligence, comme la colombe de l’arche, mon cher Martin, et il se passera une semaine avant que nous déposions, au retour, notre branche d’olivier sur le seuil ; quand je dis notre branche d’olivier, fit remarquer M. Pecksniff, j’entends notre modeste bagage.

— J’espère, dit Martin, que ces demoiselles seront satisfaites de leur petit voyage.

— Oh ! bien sûr que nous le serons ! s’écria Mercy, battant des mains. Bon Dieu ! Londres ! Londres ! Cherry, ma chère sœur, pensez donc !

— Enfant passionnée !… dit M. Pecksniff la contemplant d’un air rêveur. Et cependant il y a une douceur mélancolique