Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/113

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sablement fatigante pour un portefaix ; mais lui, avec sa bonne volonté si parfaite, il n’y pensa seulement pas, au contraire, assis sur le bagage en attendant que les Pecksniff descendirent la ruelle, en compagnie du nouvel élève, il se sentait le cœur tout allégé par l’espoir d’avoir pu faire plaisir à son bienfaiteur.

« J’avais peur, se dit Tom, tirant une lettre de sa poche et s’essuyant le visage (car le mouvement qu’il s’était donné l’avait mis en nage, bien que la journée fût froide), j’avais peur de n’avoir pas le temps de l’écrire, et c’eût été bien dommage. À une pareille distance, les frais de poste sont une considération sérieuse quand on n’est pas riche. Elle sera heureuse de voir mon écriture, pauvre fille ! et d’apprendre que Pecksniff est aussi bon que jamais pour moi. J’aurais bien prié John Westlock d’aller la voir, et de lui dire de vive voix tout ce que j’avais à lui dire ; mais je craignais qu’il ne parlât contre les Pecksniff, ce qui lui aurait fait de la peine. D’ailleurs, les personnes chez qui elle vit sont un peu chatouilleuses, et cela aurait pu lui faire du tort de recevoir la visite d’un jeune homme comme John. Pauvre Ruth ! »

Tom Pinch parut éprouver quelque mélancolie pendant une minute ou deux ; mais il ne tarda pas à se remettre et poursuivit ainsi le cours de ses pensées :

« Je suis un drôle de corps, comme me disait toujours John (c’était, du reste, un bon garçon, le cœur sur la main ; j’aurais voulu seulement qu’il eût de meilleurs sentiments à l’égard de Pecksniff) ; ne voilà-t-il pas que je vais m’affliger de cette séparation, au lieu de songer, au contraire, à la chance extraordinaire que j’ai eue d’entrer dans cette maison ! Il faut que je sois né coiffé, d’avoir rencontré Pecksniff. Et quelle chance encore d’être tombé sur un camarade comme le nouvel élève ! Jamais je n’ai vu un garçon si affable, si généreux, si indépendant. Eh bien ! tout de suite, nous avons été comme deux cœurs ! lui, un parent de Pecksniff ; lui, un jeune homme rempli de moyens et d’ardeur, et qui percera dans le monde comme un couteau dans du fromage ! … Justement, le voici qui vient pendant que je fais son éloge. Quel gaillard ! … Il vous arpente la ruelle comme si c’était à lui. »

Le fait est que le nouvel élève, sans se laisser éblouir par l’honneur d’avoir miss Mercy Pecksniff à son bras, ou par les affectueux adieux de cette jeune personne, s’approchait, pendant le soliloque de M. Pinch, suivi de miss Charity et de