Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/122

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ment ; » si long, que Tom eût pu faire une sieste dans l’intervalle ; mais enfin il lâcha le mot.

« Mais ce n’est pas le tout. Voici, maintenant, une étrange coïncidence qui se rattache à la fin du récit de cette histoire d’amour. Vous vous rappelez ce que vous m’avez dit la nuit dernière, en venant ici, au sujet de votre jolie visiteuse de l’église ?

— Oui, assurément, dit Tom, se levant en sursaut de son tabouret et s’asseyant sur la chaise même que l’autre venait de quitter, afin de voir Martin en face ; certainement oui.

— C’était elle.

— J’avais deviné ce que vous alliez dire, s’écria Tom, le regard fixé sur lui et la voix émue ; ce n’est pas possible !

— Je vous dis que c’était elle, répéta le jeune homme. D’après ce que M. Pecksniff m’a raconté, je ne doute pas qu’elle ne soit venue ici et repartie avec mon grand-père ; ne buvez pas trop de ce vin sur ; vous verrez que vous allez vous donner une bonne colique, Pinch.

— J’ai peur qu’il ne soit pas très-sain, dit Tom, posant à terre son verre vidé qu’il tenait à la main. Ainsi c’était elle ?… »

Martin fit un signe d’assentiment et dit avec un air d’impatience fébrile que, s’il fût arrivé quelques jours plus tôt, il l’eût vue, et que maintenant elle devait être à des centaines de milles, on ne sait où. Puis, après avoir fait plusieurs fois le tour de la chambre, il se jeta dans un fauteuil et se mit à bouder comme un enfant gâté.

Tom Pinch avait le cœur compatissant au plus haut degré. Il ne pouvait supporter l’idée de voir du chagrin même à la personne la plus indifférente, encore moins à quelqu’un qui avait éveillé son affection et qui le traitait, à ce qu’il lui semblait du moins, avec sympathie et bienveillance. Quelles qu’eussent été ses pensées un peu auparavant, et, à en juger par l’expression de ses traits, elles avaient dû être d’une nature sérieuse, il les écarta aussitôt pour donner à son jeune ami le meilleur conseil, la consolation la plus efficace qu’il pût trouver.

« Tout s’arrangera avec le temps, dit-il, j’en suis sûr ; les malheurs que vous aurez éprouvés ne serviront qu’à vous attacher plus étroitement l’un à l’autre, dans des jours meilleurs. D’après tout ce que j’ai lu, les choses se passent toujours de la sorte, et il y a en moi un sentiment qui me dit qu’il est naturel et même utile qu’il en soit ainsi. Quand les choses ne