Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/136

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M. Pinch se disposait à combattre avec sa douceur accoutumée cette dernière proposition quand, s’apercevant que son compagnon était déjà au bas de l’escalier, il se mit en devoir de le suivre.

— Vous ne partez pas, monsieur Pinch ? dit Tigg.

— Pardon, dit Tom. Ne me reconduisez pas, merci.

— C’est que j’aurais aimé à vous glisser un tout petit mot en particulier, monsieur Pinch, dit Tigg le poursuivant. Une minute de votre compagnie sur le terrain du jeu de quilles me ferait grand bien au cœur. Puis-je solliciter de vous cette faveur ?

— Oh ! certainement, répondit Tom, si réellement vous le désirez. »

Il se rendit avec M. Tigg dans l’endroit en question. Là, ce gentleman tira de son chapeau quelque chose qui ressemblait au débris fossile d’un mouchoir de poche antédiluvien, et s’en servit pour s’essuyer les yeux.

« Vous ne m’avez pas vu aujourd’hui, dit-il, sous un aspect favorable.

— Qu’il ne soit plus question de cela, je vous en prie, dit Tom.

— Non, non s’écria Tigg ; je persiste dans mon opinion. Si vous aviez pu me voir, monsieur Pinch, à la tête de mon régiment de la côte d’Afrique, chargeant en bataillon carré avec les femmes, les enfants et toute la batterie de cuisine du corps au milieu, vous ne m’auriez pas reconnu. Vous m’eussiez estimé, monsieur. »

Tom avait certaines idées à lui, au sujet de la gloire ; et par conséquent il ne fut pas tout à fait aussi enthousiasmé par ce tableau que l’eût souhaité M. Tigg.

« Mais il ne s’agit pas de cela ! dit ce gentleman. L’écolier qui, en écrivant à ses parents, leur décrit le lait baptisé d’eau qu’on lui donne à déjeuner, ne manque pas de dire, pour ce qui est de ça : « C’est là le côté faible. » Eh bien ! c’est vrai ; moi aussi j’ai ma faiblesse, je le sais bien, et je vous en demande pardon. Monsieur, vous avez vu mon ami Slyme ?

— Sans doute, dit M. Pinch.

— Monsieur, mon ami Slyme a dû vous faire impression ?

— Une impression assez peu agréable, je dois l’avouer, répondit Tom après un instant d’hésitation.

— Je suis peiné de ce que vous me dites là, s’écria M. Tigg, le retenant par les deux revers de sa redingote ; mais je ne suis