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Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/159

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leine que pour conter des histoires, la seule chose pour laquelle ils fussent merveilleusement doués d’une longue respiration. Ces gens-là étaient très-hostiles à la vapeur et à toutes les inventions modernes ; ils considéraient les ballons comme une œuvre de Satan, et déploraient la décadence de l’époque. Celui des membres particuliers de chacune des petites congrégations qui était chargé des clefs de l’église la plus voisine ne manquait pas d’attribuer la misère des temps à l’invasion des croyances dissidentes et au schisme religieux ; mais la majeure partie de la population locale inclinait à penser que la vertu était partie avec la poudre à cheveux, et que la grandeur de la vieille Angleterre avait été enveloppée dans la ruine des barbiers.

Quant à la maison Todgers, pour n’en parler qu’à raison de sa position topographique et sans faire allusion à ses qualités comme pension bourgeoise pour les gentlemen du commerce, elle était digne de se trouver en semblable compagnie. Sur un de ses côtés elle avait, au rez-de-chaussée, une fenêtre d’escalier qui, d’après la tradition, n’avait pas été ouverte depuis cent ans au moins, et qui, donnant sur une ruelle pleine de poussière, était tellement souillée et obstruée par la boue d’un siècle, que, grâce à ce mastic crasseux, pas un des carreaux ne pouvait trembler, quoiqu’ils fussent tous fêlés, fendillés et craquelés en vingt morceaux. Mais le grand mystère de la maison Todgers était dans ses caves, auxquelles donnaient seulement accès une petite porte de derrière et une grille rouillée. De mémoire d’homme, ces caves avaient toujours été sans communication avec la maison, et toujours elles avaient appartenu à un autre propriétaire. Le bruit courait qu’elles regorgeaient de richesses, quoique ce fût un sujet de profonde incertitude et de suprême indifférence pour la maison Todgers et tous ses habitants de savoir si ces richesses consistaient en argent, en or, en bronze, en pipes de vin ou en barils de poudre à canon.

Il n’est pas non plus sans intérêt de mentionner le haut de l’édifice. Sur le toit régnait une espèce de terrasse où étaient des poteaux et des débris de cordes destinées à faire sécher le linge ; on y voyait, en outre, deux ou trois boîtes à thé remplies de terre, avec quelques plantes délaissées qui ressemblaient à des cannes. Quiconque grimpait à cet observatoire ne manquait pas d’abord de se faire une bosse à la tête en se cognant contre la petite porte qui y donnait accès, puis éprou-