Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/16

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le moins du monde dans la question. Mais faisons le sacrifice de cette hypothèse, il n’en restera pas moins évident que M. Toby Chuzzlewit avait mal entendu ce nom prononcé par son père, ou qu’il l’avait oublié, ou, au pis aller, que la langue avait tourné au moribond : ce qui n’empêche pas qu’à l’époque récente dont nous parlons, les Chuzzlewit étaient unis de la main gauche, c’est-à-dire, en termes héraldiques, par une barre, à quelque noble et illustre maison inconnue.

De documents et de preuves que la famille a conservés il appert très-positivement qu’au temps comparativement récent du Diggory Chuzzlewit ci-dessus mentionné, un des membres de ladite famille parvint à un état de grande fortune et de haute considération. À travers les fragments de sa correspondance échappée aux ravages des mites, qui, en raison de l’immense absorption qu’elles font des notes et des papiers, peuvent être nommées à bon droit les greffiers généraux du monde des insectes, nous trouvons que Diggory fait constamment allusion à une tante sur laquelle il semblait fonder beaucoup d’espérances et dont il cherchait à se concilier la faveur par de fréquents cadeaux de vaisselle, bijoux, livres, montres et autres objets de prix. Ainsi, une fois il écrit à son frère, au sujet d’une cuiller à ragoût appartenant à ce frère, et qu’il lui avait empruntée, à ce qu’il paraît ; dans tous les cas il l’avait en sa possession : « Ne soyez pas contrarié de ce que je ne l’ai plus. Je l’ai portée chez ma tante. » Dans une autre circonstance, il s’exprime de la même manière, à propos d’une timbale d’enfant qu’on lui avait confiée pour la faire raccommoder. Une autre fois encore il dit : « Je n’ai jamais pu m’empêcher de porter à cette irrésistible tante ce que je possède. » La phrase suivante démontrera qu’il avait l’habitude de faire de longues et fréquentes visites à cette dame en son hôtel, si même il n’y habitait pas aussi : « À l’exception des habits que je porte sur moi, tout le reste de mes effets est à présent chez ma tante. » Il faut croire que le patronage et la position de cette honorable dame étaient considérables, car son neveu écrit : « Ses intérêts sont trop élevés. C’est par trop fort. C’est effrayant. » Et ainsi de suite. Cependant il ne paraît pas (chose étrange) que la tante ait profité de son crédit pour procurer à son neveu un poste lucratif à la cour ou ailleurs, ni qu’elle lui ait valu d’autre distinction que celle qui ressortait naturellement de la société d’une lady de haut parage, ni qu’elle lui ait rendu d’autres bons offices que les services