Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/179

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’elles peu à peu parvint à boire tout son verre jusqu’à la lie !

Mais voici le moment solennel.

« Le soleil, a dit M. Jinkins, va bientôt quitter le firmament. »

Quel homme comme il faut que ce Jinkins !… Jamais embarrassé !

« Miss Pecksniff ! dit doucement Mme Todgers ; voulez-vous…

— Ô ciel ! rien de plus Mme Todgers, rien de plus. »

Mme Todgers se lève ; les deux demoiselles Pecksniff se lèvent ; tout le monde se lève. Miss Mercy Pecksniff cherche à ses pieds son écharpe. Où est-elle ? mon Dieu, où peut-elle être ? La douce jeune fille, elle l’avait, son écharpe, non sur ses belles épaules, mais autour de sa taille ondoyante. Une douzaine de mains s’empressent de lui offrir leurs services. Elle est toute confuse. Le plus jeune gentleman de la compagnie, jaloux comme un tigre, a soif du sang de Jinkins. Mercy bondit et rejoint sa sœur à la porte. Charity a enlacé de son bras la taille de Mme Todgers. De l’autre bras, elle entoure le corsage de sa sœur. Ô Diane, chaste Diane, quel tableau !… On ne voit plus qu’une ombre… un petit saut, et l’ombre a passé la porte.

« Messieurs, buvons à la santé des dames ! »

L’enthousiasme est formidable. Le gentleman à l’esprit satirique se lève, et laisse tomber de ses lèvres un flux d’éloquence qui renverse tout sur son passage. Il rappelle qu’il y a un toast à porter, un toast auquel on ne manquera pas de répondre. Ici se trouve, devant ses yeux, un individu envers lequel on a contracté une dette de reconnaissance. Oui, il le répète, une dette de reconnaissance. Nos natures, âpres et rudes, ont été adoucies et améliorées aujourd’hui par la société de femmes aimables. « Il y a, dans la société ici présente, un gentleman que deux femmes accomplies et délicieuses contemplent avec vénération, comme la source de leur existence. Oui, messieurs, déjà quand ces deux demoiselles balbutiaient un langage à peine intelligible, elles appelaient cet individu : « Père ! » Ici, applaudissements unanimes. L’orateur ajoute : « C’est M. Pecksniff ! Dieu le bénisse ! » Tous échangent des poignées de main avec M. Pecksniff, tous font honneur au toast. Le plus jeune gentleman de la compagnie boit en tressaillant, car il comprend quelle mystérieuse influence entoure