Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/186

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phelin qui veuille me compléter cette citation de la jolie pièce des œuvres du docteur Watts, l’occasion est propice. »

Personne ne s’offrit.

« C’est très-agréable, dit M. Pecksniff après une pause. C’est astringent et rafraîchissant, en particulier pour les jambes ! Les jambes de l’homme, mes amis, sont une invention admirable. Comparez-les aux jambes de bois, et observez la différence qu’il y a entre l’anatomie de la nature et l’anatomie de l’art. Savez-vous, ajouta M. Pecksniff en se penchant sur la rampe avec cet air familier qu’il prenait toujours vis-à-vis de ses nouveaux élèves, savez-vous que je voudrais bien connaître l’opinion de Mme Todgers sur une jambe de bois, si cela lui était agréable ? »

Comme il paraissait impossible d’attendre de lui rien de raisonnable après un pareil discours, M. Jinkins et M. Gander remontèrent et le replacèrent de nouveau sur son lit. Mais il en était sorti avant que ces messieurs fussent arrivés au second étage ; ils revinrent l’accommoder, et à peine avaient-ils descendu quelques marches, que notre homme était déjà dehors. En un mot, autant de fois on le fit rentrer dans sa chambre, autant de fois il s’en échappa, l’esprit bourré de maximes morales, qu’il répétait continuellement par-dessus la rampe, avec un plaisir extraordinaire et un désir irrésistible d’éclairer ses semblables.

Vu les circonstances, et quand pour la trentième fois au moins il eurent remis M. Pecksniff au lit, M. Jinkins resta à le surveiller, tandis que son compagnon descendait chercher Bailey junior qu’il amena avec lui. Le jeune concierge, instruit du service qu’on attendait de lui, s’en montra enchanté, et s’installa avec un tabouret, une chandelle et son souper, pour veiller plus commodément près de la porte de la chambre à coucher.

Ces arrangements terminés, on enferma M. Pecksniff, en laissant la clef du côté extérieur de la serrure. Le jeune page était chargé d’écouter avec attention, de guetter les symptômes d’apoplexie qui pourraient survenir au patient ; et, dans le cas où il s’en présenterait, d’appeler immédiatement au secours. À quoi M. Bailey répondit modestement qu’il « se flattait de savoir en général passablement l’heure qu’il était au cadran de la pendule, et qu’il ne datait pas pour rien ses lettres de Todgers-House. »