Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/188

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si calme. Il s’enferma avec ses filles, et ils eurent une conférence secrète qui dura bien deux heures. Tout ce qui se passa dans cet entretien resta caché, et nous n’en connaissons que les paroles suivantes, articulées par M. Pecksniff :

« Comment un tel changement s’est-il opéré en lui (du moins je l’espère), question tout à fait oiseuse et vaine. Mes chéries, j’ai mes idées sur ce sujet, mais je ne les émettrai point. Il suffit que nous soyons disposés à ne montrer ni ressentiment ni colère, et que nous soyons prêts à pardonner. S’il désire notre amitié, il l’aura. Nous connaissons notre devoir, je pense ! »

Le même jour, heure de midi, un vieux gentleman descendit de cabriolet au bureau de poste, et, ayant donné son nom, demanda une lettre à lui adressée et qui devait rester au bureau jusqu’à ce qu’elle fût réclamée. Cette lettre attendait depuis quelques jours. La suscription en était écrite de la main de M. Pecksniff, et scellée du cachet de M. Pecksniff.

La lettre, très-courte, ne contenait guère qu’une adresse avec « les sentiments très-respectueux et (malgré le passé), sincèrement affectueux. » Le vieux gentleman prit l’adresse, jetant au vent en petits morceaux le reste de la lettre et la passa au cocher avec ordre de le conduire le plus près possible de Todgers-House. Le cocher le mena droit au Monument : là, le vieux gentleman descendit de nouveau, renvoya sa voiture et se dirigea à pied vers la pension bourgeoise.

Bien que le visage, la tournure, le pas de ce vieillard, et même la manière ferme dont il serrait, en s’appuyant dessus, sa grosse canne, indiquassent une résolution qu’il n’eût pas été facile de combattre, et une obstination (bonne ou mauvaise, peu importe) qui, dans d’autres temps, eût bravé la torture et puisé la vie dans les angoisses mêmes de la mort ; cependant il y avait en ce moment dans son esprit une certaine hésitation qui lui fit éviter d’abord la maison qu’il cherchait et le conduisit machinalement vers un rayon de soleil qui éclairait le petit cimetière voisin. Il semble qu’il dût y avoir dans le contraste de cette poussière immobile amoncelée au milieu même du plus actif remue-ménage quelque chose qui fût plutôt capable d’accroître son indécision : cependant il s’achemina de ce côté, éveillant les échos sur son passage, jusqu’à ce que l’horloge de l’église, sonnant pour la seconde fois les quarts depuis qu’il était dans le cimetière, le tira de sa méditation. Sortant donc de son incertitude en même temps que l’air em-