Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/194

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estime. Vous m’avez rendu le service de les chasser ; je vous en dois bien des remercîments. Quoique j’eusse déjà quitté la place, vous voyez que je n’ignore rien de ce qui s’est passé en mon absence.

— Vous me stupéfiez, monsieur ! » s’écria M. Pecksniff.

C’était assez vrai.

« J’en sais bien d’autres. Vous avez dans votre maison un nouveau commensal…

— Oui, monsieur, répondit l’architecte. Il y en a un.

— Il faut qu’il la quitte, dit Martin.

— Pour… pour la vôtre ? demanda M. Pecksniff avec une douceur cadencée.

— Pour aller où il pourra, répondit le vieillard. Il vous a trompé.

— J’espère que non, dit vivement M. Pecksniff. J’ose croire que non. Je me suis senti une grande inclination pour ce jeune homme. J’espère ne point avoir la preuve qu’il ait en rien démérité de ses titres à ma protection. La perfidie, la perfidie, mon cher monsieur Chuzzlewit, serait un coup décisif. Sur une preuve de perfidie, je croirais de mon devoir de rompre immédiatement avec lui. »

Le vieillard embrassa d’un regard les deux demoiselles, mais particulièrement miss Mercy, qu’il contempla fixement avec un intérêt qu’il n’avait pas encore témoigné. Il ramena enfin ses yeux sur M. Pecksniff tout en disant d’un ton calme :

« Vous savez, selon toute probabilité, qu’il a déjà fait choix d’une femme.

— Ô ciel ! s’écria M. Pecksniff, relevant avec force ses cheveux en brosse sur sa tête et jetant à ses filles un coup d’œil sinistre, ceci devient effrayant !

— Vous savez l’affaire ? demanda Martin.

— Assurément, mon cher monsieur, il n’aura point fait ce choix sans le consentement et l’approbation de son grand-père ! s’écria M. Pecksniff. Ne me dites pas cela. Pour l’honneur de l’humanité, donnez-moi l’assurance qu’il n’a pas oublié à ce point ses devoirs.

— Eh bien ! il s’en est passé. »

L’indignation éprouvée par M. Pecksniff, en entendant cette révélation terrible, n’eut d’égale que l’ardente colère des deux demoiselles. Eh quoi ! avaient-elles par hasard logé et nourri dans leur sein un serpent à sonnettes ; un crocodile qui avait fait l’offre clandestine de sa main, un fourbe qui avait trompé