Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/202

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ralement considéré, vous si aimé ! J’ose espérer que vous vous raviserez, si ce n’est pour d’autres, du moins pour moi.

– N’y a-t-il pas ici, dit d’un ton boudeur le jeune gentleman, Jinkins, votre favori ? N’est-ce pas assez pour vous consoler, ainsi que les gentlemen, de la perte de vingt hommes comme moi ? D’ailleurs, je suis incompris dans cette maison ; je l’ai toujours été.

– Ne vous éloignez pas d’ici avec cette idée, monsieur ! s’écria Mme Todgers, poussée par un élan de vertueuse indignation. Ne portez pas une accusation pareille contre cet établissement, je vous en prie. Il ne la mérite pas, monsieur. Faites toutes les remarques qu’il vous plaira contre les gentlemen ou contre moi ; mais ne dites pas que vous n’êtes point compris dans cette maison.

– Si je l’étais, l’on ne me traiterait pas de la sorte.

– Vous êtes dans une grande erreur, monsieur, continua Mme Todgers sur le même ton. Comme nous le disons souvent avec plusieurs de ces messieurs, vous êtes aussi trop susceptible. C’est comme ça ; vous êtes trop susceptible ; c’est votre caractère. »

Le jeune gentleman toussa.

« Et quant à M. Jinkins, je dois, si nous sommes destinés à nous séparer, vous prier de vouloir bien vous rappeler que je ne le soutiens nullement. Loin de là, je souhaiterais fort que M. Jinkins baissât un peu le ton dans la maison, au lieu de me créer des difficultés avec des gentlemen dont le départ me serait bien plus pénible que le sien. M. Jinkins n’est pas déjà un pensionnaire si fameux, pour que toutes les considérations de sentiments particuliers et d’égards s’effacent devant lui. Bien au contraire, je vous l’assure. »

Le jeune gentleman fut tellement radouci par ces paroles de Mme Todgers et par tout ce qu’elle put dire encore, que peu à peu cette dame et lui se trouvèrent avoir changé de position : c’est elle qui devint l’offensée et lui qui parut l’offenseur ; mais tout cela sur un ton de reproche amical et non de plainte amère ; sa conduite cruelle ne devant être attribuée uniquement qu’à son caractère exalté. De sorte qu’à la fin de la conversation, le jeune gentleman retira sa notification de congé, et, après avoir donné à Mme Todgers l’assurance de son inaltérable dévouement, s’en alla vaquer à ses affaires.

« Bonté du ciel ! mesdemoiselles Pecksniff, cria la dame en entrant dans la chambre du fond et s’asseyant lourdement, son