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Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/226

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faire un compliment, dit Anthony, un compliment, sur ma parole. C’était un hommage involontaire payé à vos talents, même au moment de la réunion ; et cependant ce n’était pas un moment à faire des compliments. Au reste, il a été parfaitement entendu, dans la diligence, que nous nous étions compris l’un l’autre.

— Oh ! parfaitement !… » répondit M. Pecksniff, de façon à laisser deviner qu’il était, au contraire, cruellement incompris, mais qu’il ne se plaignait pas.

Anthony regarda son fils, qui s’était assis auprès de miss Charity ; puis, tour à tour et plusieurs fois de suite, il promena son regard sur Pecksniff et sur Jonas. Il arriva que les yeux de M. Pecksniff prirent une direction semblable ; mais, voyant qu’on s’en apercevait, il baissa les yeux d’abord et puis les ferma, comme pour n’y laisser rien lire au vieillard.

« Jonas est un malin, dit Anthony.

— Il en a l’air, répondit M. Pecksniff, de son ton le plus candide.

— Et avisé, dit Anthony.

— Très-avisé, je n’en doute point, répliqua M. Pecksniff.

— Regardez !… lui dit à l’oreille Anthony. Je crois qu’il fait la cour à votre fille.

— Allons donc, mon bon monsieur ! dit M. Pecksniff sans ouvrir les yeux ; des jeunes gens, des jeunes gens, simple amitié. Il n’y a pas de sentiment là dedans, monsieur.

— Oh ! oui, ma foi, pas de sentiment, comme si nous ne le savions pas par expérience ! Croyez-vous qu’il n’y ait pas là quelque chose de plus que de la simple amitié ?

— Il m’est impossible de vous le dire, répliqua M. Pecksniff, tout à fait impossible ! Vous me surprenez beaucoup.

— Oui, je le sais bien, dit sèchement le vieillard. Cela peut durer : je parle du sentiment, et non de votre surprise ; mais cela peut cesser aussi. En supposant la durée, peut-être y trouverions-nous un intérêt égal, car vous et moi nous avons fait notre pelote. »

M. Pecksniff, le sourire aux lèvres, allait parler quand le vieillard l’arrêta.

« Je devine ce que vous allez dire. C’est tout à fait inutile. Vous me direz à cela que vous n’avez jamais songé à chose pareille ; que, sur un point qui touche de si près au bonheur de votre chère enfant, vous ne pouvez, en père dévoué, exprimer une opinion, et ainsi de suite. Tout cela est bel et bon, et je