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Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/235

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rafales plus violentes qui viennent soudain les assaillir ? lorsqu’ensuite, se retournant après le passage des tourbillons, ils s’élancent de nouveau avec une telle ardeur qu’il n’y a rien de comparable, sauf la gaieté qui en est la conséquence ? Si cela vaut mieux qu’un cabriolet ? … Tenez, voici justement un homme qui suit en cabriolet la même route. Voyez-le prendre son fouet de la main gauche, réchauffer les doigts engourdis de sa main droite en les frottant sur sa jambe non moins froide, et frapper contre le marchepied ses orteils glacés comme le marbre. Ah ! ah ! ah ! qui donc voudrait changer ce flux rapide du sang dans les veines pour cette circulation stagnante des esprits vitaux, quand il s’agirait d’aller vingt fois plus vite ?

Si cela vaut mieux qu’un cabriolet ? Mais quel intérêt voulez-vous qu’un homme qui va en cabriolet prenne aux bornes milliaires, je suppose ? Un homme qui va en cabriolet ne saurait ni regarder, ni penser, ni sentir comme ceux qui se servent gaiement de leurs jambes. Voyez le vent qui rase ces collines glacées ; comme il marque son passage par des teintes sombres fortement accusées sur l’herbe, et des ombres légères sur les hauteurs ! Contemplez de tous côtés cette plaine nue et gelée, et puis vous me direz si, même par un jour d’hiver, ces ombres ne sont pas belles ! Hélas ! c’est justement la condition de tout ce qu’il y a de beau dans la nature. Les plus charmantes choses en ce monde, brave Tom, ne sont que des ombres ; elles vont et viennent, elles changent et s’évanouissent rapidement, aussi rapidement que celles qui passent en ce moment devant tes yeux.

Un mille encore, et alors la neige commence à tomber. La corneille qui effleure la terre pour se tenir sous le vent semble une tache d’encre sur le paysage blanchi. Mais, bien que la neige les tourmente et gêne leur marche, alourdissant leurs manteaux et se congelant dans les cils de leurs yeux, ils ne voudraient pas la voir moins abondante ; non, ils n’en voudraient pas perdre un flocon, quand ils auraient à faire une vingtaine de milles. Et, tenez ! ne voilà-t-il pas que les tours de la vieille cathédrale se dressent maintenant devant eux ! peu à peu ils pénètrent dans les rues étroites, que le blanc tapis dont elles sont revêtues a rendues étrangement silencieuses ; ils arrivent à l’hôtel où les appelle leur rendez-vous. Là ils présentent au garçon grelottant des mines si écarlates, si enflammées, si vigoureuses, que le garçon reste stupéfié de