Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/24

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même temps la plus naïve créature que vous puissiez imaginer, cette jeune miss Pecksniff, la cadette ; c’était là son grand charme. Elle était trop naturelle, trop franche, cette jeune miss Pecksniff, la cadette, pour porter un peigne dans ses cheveux, ou pour les tourner, ou pour les friser, ou pour les natter. Elle les portait à la Titus, coiffure libre et flottante, où il entrait tant de rangées de boucles que le sommet semblait ne former qu’une boucle unique. Elle n’était pas autrement jolie : mais pourtant, c’était une petite femme assez drôlette ; quelquefois, oui, quelquefois, elle portait même un tablier ; et elle était si bien comme cela ! Oh ! cette miss Pecksniff, la cadette, c’était bien « une vraie gazelle, » comme un jeune gentleman l’avait fait observer dans un madrigal, au bas d’un journal de province, article « poésie ».

M. Pecksniff était un homme moral, un homme grave, un homme aux sentiments et au langage nobles : il avait fait baptiser sa fille cadette sous le nom de Mercy. Mercy ! oh ! le charmant nom pour une créature à l’âme pure comme la plus jeune des miss Pecksniff ! L’autre sœur s’appelait Charity. C’était parfait. Mercy et Charity ! Charity, avec son excellent bon sens, avec sa douceur tempérée d’une gravité sans amertume, était si bien nommée, et savait si bien conduire et faire valoir sa sœur ! Quel piquant contraste elles offraient à l’observateur ! On les voyait aimées et s’aimant entre elles, pleines de sympathie mutuelle et de dévouement, s’appuyant l’une sur l’autre, et cependant se servant de correctif, d’opposition et, en quelque sorte, d’antidote. Observez chacune de ces demoiselles, admirant sa sœur sans réserve, mais agissant de son côté tout autrement qu’elle, d’après des principes différents, et sans avoir, en apparence, rien de commun avec elle ; et, si les bons résultats d’un semblable système ne vous plaisent pas, vous êtes invité respectueusement à m’honorer de votre réclamation. Le fait culminant de tout cet intéressant tableau, c’est que les deux belles créatures n’en avaient nullement conscience ; elles ne s’en doutaient seulement pas. Elles n’y pensaient et n’en rêvaient pas plus que Pecksniff lui-même. La nature s’amusait à les opposer l’une à l’autre : mais elles ne se mêlaient pas de cela, les deux miss Pecksniff.

Nous avons fait remarquer que M. Pecksniff était un homme moral. Il l’était en effet. Peut-être n’exista-t-il jamais un homme plus moral que M. Pecksniff : il l’était surtout dans la conversation et dans le commerce épistolaire. Il avait été dit de