Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/241

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— L’heureux jeune homme, né sous une étoile favorable, dit John Westlock en riant, dont les parents ou tuteurs sont destinés à être amorcés par l’avis. Eh quoi ! ne savez-vous pas que Pecksniff vient de faire paraître encore une annonce ?

— Non.

— Eh bien, oui. Je la lisais justement avant dîner dans le journal d’hier. J’ai reconnu son style ; je n’ai que trop de raisons de ne pas m’y tromper. Attention ! voici Pinch. N’est-il pas étrange que plus Pinch aime Pecksniff (en admettant qu’il puisse l’aimer davantage), plus on se sent entraîné à aimer ce brave garçon ?… Pas un mot de plus là-dessus ; sinon, nous lui ôterions toute sa gaieté. »

Westlock avait à peine fini, que Tom entra avec un sourire qui illuminait son visage ; et, se frottant les mains, plutôt de plaisir que pour les réchauffer (car il avait marché très-vite), il s’assit dans un bon coin, heureux comme… comme Pinch seul pouvait l’être. Il n’y a pas de comparaison pour exprimer l’état de son esprit.

« Ainsi, dit-il après avoir contemplé quelque temps son ami avec une jouissance silencieuse, ainsi, vous voilà réellement enfin un gentleman, John ! C’est parfait.

— J’essaye de le devenir, Tom, répliqua Westlock d’un ton de bonne humeur. Qui sait ? cela viendra peut-être avec le temps.

— Je suppose qu’aujourd’hui vous ne porteriez pas vous-même votre malle à la diligence, dit Tom Pinch en souriant, dussiez-vous la perdre faute de vouloir vous en charger ?

— Je ne la porterais pas ? Qu’est-ce que vous en savez, Pinch ? Il faudrait qu’elle fût bien lourde, la malle que je ne porterais pas pour me sauver de chez Pecksniff !

— Voilà ! s’écria Pinch, se tournant vers Martin. Je vous l’avais bien dit. Le grand défaut de son caractère, c’est son injustice à l’égard de Pecksniff. Vous ne sauriez vous imaginer tout ce qu’il dit sur ce sujet. Ses préventions sont vraiment extraordinaires.

— Ce qui est vraiment extraordinaire, dit John Westlock riant de tout son cœur, tandis qu’il posait sa main sur l’épaule de M. Pinch, c’est l’absence de toutes préventions pareilles de la part de Tom. Si jamais homme a eu la connaissance profonde d’un autre homme, et l’a vu sous son véritable jour avec ses propres couleurs, c’est bien Tom assurément, à l’endroit de M. Pecksniff.