Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/257

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aucune considération, prendre le gilet de mon prochain, moins encore le gilet d’un gentleman. Mais le mouchoir de soie, c’est autre chose ; et, si vous êtes satisfait quand nous arriverons à Hounslow, je ne refuserai pas de l’accepter en cadeau.

— Alors marché conclu ? dit Martin.

— Oui, marché conclu.

— Achevons donc cette bière, dit Martin lui passant le pot et remettant gaiement son habit ; nous partirons aussitôt qu’il vous plaira. »

Dix minutes après, il avait payé sa note, qui se montait à une schelling, et s’était étendu à la tête du chariot sur une botte de paille bien sèche et bien épaisse, la bâche entr’ouverte par devant, pour causer librement avec son nouvel ami. La voiture prit sa direction avec une vitesse très-satisfaisante.

Le conducteur s’appelait William Simmons, ainsi qu’il ne tarda pas à en instruire Martin ; mais il était plus connu sous le nom de Bill. Son air florissant s’expliquait parfaitement par l’emploi qu’il occupait dans une grande maison de messagerie, où il portait les chargements qu’il allait prendre à une ferme du Wiltshire appartenant à l’entreprise. Il raconta qu’il était fréquemment en route pour ces commissions, comme aussi pour aller inspecter les chevaux malades ou au vert, et tout ce qu’il avait à dire sur le compte de ces animaux tint une large place dans son récit. Il aspirait à la dignité de cocher en pied et attendait sa nomination à la première vacance. Il était d’ailleurs musicien et avait dans sa poche un petit bugle à piston sur lequel, dès que la conversation venait à languir, il jouait le commencement d’une grande quantité d’airs, mais rien que le commencement, car il ne manquait pas de s’arrêter à la seconde partie.

« Ah ! dit Bill avec un soupir en passant sur ses lèvres le dos de sa main et remettant l’instrument dans sa poche après en avoir dévissé l’embouchure pour la sécher, c’est Lummy Ned, conducteur du léger Salisbury, qui en avait du talent musical ! C’était ça un conducteur… et qui jouait du bugle comme un ange.

— Est-ce qu’il est mort ? demanda Martin.

— Mort ! répliqua l’autre avec une majesté superbe. Non pas. Vous n’attraperiez pas Ned à mourir si facilement. Non pas, pas si bête.