Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/286

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— Je vais rentrer immédiatement, dit Mary. J’ai encore quelque chose à ajouter, cher Martin. Depuis quelques minutes, vous vous êtes borné à me demander de répondre à vos questions sur un seul sujet ; mais il faut bien que vous sachiez (autrement, j’en aurais du regret) que, depuis la séparation dont j’ai été malheureusement la cause, il n’a jamais prononcé votre nom ; que jamais, même par la moindre allusion, il ne l’a mêlé à l’ombre d’un reproche, et que sa tendresse pour moi n’a pas diminué.

— Quant à ce dernier point, je lui en suis obligé, dit Martin ; pour le reste, je ne lui en sais aucun gré. Quoique, toute réflexion faite, j’aie encore à le remercier de ne pas dire un mot de moi, car je n’espère ni ne désire que, désormais, il prononce jamais mon nom ; il est possible, pourtant, qu’un jour il l’écrive, et que cette fois il le mêle à ses reproches dans son testament. À la bonne heure ! En attendant, quand je le saurai, il sera dans la tombe ; elle m’aura vengée de sa colère. Dieu l’assiste !

— Martin !… si quelquefois, à vos heures de repos, l’hiver devant le foyer, ou l’été en plein air, quand vous viendrez à entendre une douce harmonie, ou à penser à la mort, à la patrie, à votre enfance ; si, en ce moment, vous consentiez à songer seulement une fois par mois, même une fois par an à lui, ou à toute autre personne de qui vous ayez à vous plaindre, vous lui pardonneriez au fond du cœur, j’en suis sûre !

— Si je croyais qu’il en fût ainsi, Mary, répondit-il, jamais, en un pareil moment, je ne voudrais songer à lui, pour m’épargner la honte d’une aussi lâche faiblesse. Je ne suis pas né pour servir de jouet ou de pantin à un homme, encore moins à lui, à qui j’ai sacrifié ma jeunesse tout entière, pour complaire à ses désirs et à ses caprices, en retour du peu de bien qu’il m’a fait. Entre nous deux, ce ne fut qu’un troc tout pur, un marché, rien de plus ; et le plateau de la balance ne penche pas tellement en sa faveur, que j’aie besoin d’y jeter comme poids complémentaire un méprisable pardon. Il vous a défendu de jamais parler de moi, ajouta vivement Martin, je le sais. Allons, n’est-ce pas vrai ?

— Il y a longtemps de cela ; c’était immédiatement après votre séparation ; vous n’aviez pas même encore quitté la maison. Mais depuis, jamais.

— Il n’en a plus parlé, dit Martin, parce que l’occasion ne s’en est pas offerte ; mais, de toute manière c’est chose peu