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Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/288

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loigna rapidement, et M. Tapley la suivit à distance convenable.

Lorsque Mark vint rejoindre Martin dans sa chambre, il trouva ce gentleman assis tout pensif devant la grille poudreuse, les deux pieds posés sur le garde-feu, les deux coudes sur les genoux, et le menton appuyé d’une façon assez peu gracieuse sur la paume des mains.

« Eh bien ! Mark ?

— Eh bien ! monsieur, dit Mark, reprenant haleine, j’ai vu la jeune dame rentrer saine et sauve chez elle, et je m’en suis revenu très-soulagé. Elle vous envoie une quantité de choses aimables, monsieur, et ceci, ajouta-t-il en lui présentant une bague, comme un souvenir de séparation.

— Des diamants ! dit Martin, baisant la bague (rendons-lui la justice de reconnaître qu’il la baisa par amour pour Mary, sans arrière-pensée d’intérêt) et la mettant à son petit doigt. De beaux diamants !… Mon grand-père est un drôle de corps, un homme étrange, Mark. Je parie que c’est lui qui lui a donné cette bague. »

Mark Tapley croyait plutôt au fond du cœur qu’elle l’avait achetée, pour que l’imprévoyant jeune homme emportât un objet de prix qui pût lui être utile en cas de détresse ; il en était aussi sûr qu’il savait qu’il faisait jour et non pas nuit. Quoiqu’il n’eût pas plus de certitude que l’autre sur l’histoire du brillant joyau qui scintillait au doigt de Martin, il aurait bien parié, lui, que pour le payer Mary avait dû dépenser toutes ses économies ; il en était aussi certain que s’il l’avait vue compter l’argent pièce à pièce. Le bizarre aveuglement de Martin dans cette petite affaire ne pouvait s’expliquer que par le caractère du personnage, dont il soupçonna immédiatement l’égoïsme ; et, à partir de ce moment, le domestique ne se fit plus aucune illusion sur le mobile dominant de son maître.

« Elle est digne de tous les sacrifices que j’ai faits, dit Martin, se croisant les bras et contemplant les cendres du foyer, comme s’il reprenait le fil de ses idées. Elle en est bien digne. La richesse… (ici il caressa son menton et se mit à rêver) la richesse n’eût pas racheté pour moi la perte d’une si belle nature. Sans compter qu’en gagnant son affection j’ai suivi la pente de mes propres désirs et déjoué les plans intéressés de gens qui n’avaient pas le droit de me les imposer. Oui, elle est tout à fait digne, plus que digne, du sacrifice que j’ai fait, oui, oui, sans aucun doute. »