Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/309

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« Sur mon honneur, dit ce dernier qui, pendant ce temps, avait repris tout son sang-froid habituel, je ne saurais vous donner aucune information satisfaisante sur ce que vous me demandez ; car la vérité est que je…

— Arrêtez ! cria le colonel, jetant un regard farouche à son rédacteur de la guerre et secouant sa tête après chaque phrase. La vérité est que vous n’avez jamais entendu parler de Jefferson Brick, monsieur ; que vous n’avez jamais lu Jefferson Brick, monsieur ; que vous n’avez jamais vu le Rowdy Journal, monsieur ; que vous ne vous doutiez pas, monsieur, de sa haute influence sur les cabinets de l’Europe. N’est-ce pas ?

— C’est précisément ce que j’allais vous dire, répondit Martin.

— Contenez-vous, Jefferson, dit gravement le colonel. Ne bougez pas !… Oh ! les Européens !… Allons ! là-dessus prenons un verre de vin ! »

Ce disant, il descendit de la table et alla tirer d’un panier derrière la porte une bouteille de vin de Champagne et trois verres.

« Monsieur Jefferson Brick, dit le colonel, remplissant son verre et celui de Martin, et poussant la bouteille vers l’autre gentleman, veuillez nous faire un petit discours.

— Bien, monsieur, s’écria le rédacteur de la guerre ; puisque vous me faites un appel, je vais vous faire raison. Je porte un toast, monsieur, au Rowdy Journal et à ses frères ; à ce puits de la Vérité, dont les eaux peuvent être noires, parce qu’elles sont composées d’encre d’imprimerie, mais n’en sont pas moins assez limpides pour former à mon pays un miroir où il peut voir distinctement le reflet de sa Destinée.

— Écoutez, écoutez ! cria le colonel en extase. Vous voyez qu’il ne manque pas, monsieur, d’images fleuries dans le langage de mon ami ?

— Comment donc ! mais il y en a beaucoup, dit Martin.

— Voilà, monsieur, le Rowdy d’aujourd’hui, le journal du jour, dit le colonel, tendant à Martin un papier. Vous y trouverez Jefferson Brick à son poste accoutumé, à l’avant-garde de la civilisation humaine et de la pureté des mœurs. »

En même temps le colonel s’était assis de nouveau sur la table. M. Brick prit également place de la même façon sur le même meuble, et ils se mirent à boire un peu bien. Ils regardaient fréquemment Martin, tandis qu’il lisait le journal, puis