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de tenir la porte. Il était assurément fort loin d’être beau. Sa redingote, couleur de tabac, était d’une forme étrange, pour ne rien dire de plus ; fatiguée par les longs services qu’elle avait rendus, elle pendait, fripée et tortillée, avec de bizarres contours. Cependant, malgré son costume, malgré son air de gaucherie, malgré l’inclination prononcée de ses épaules, et la risible habitude qu’il avait d’allonger la tête en avant, personne n’eût été disposé, si M. Pecksniff ne l’avait dit, à le considérer comme un mauvais garçon. Il pouvait avoir environ trente ans, mais son âge aurait pu varier aussi bien entre seize et soixante : car c’était un de ces êtres hors de la règle commune, qui jamais n’ont à perdre leur premier air de jeunesse, vu que, dès leur bas âge, ils semblent déjà très-vieux et font l’économie de la jeunesse.

La main posée sur le bouton de la porte, il dirigea son regard de M. Pecksniff sur Mercy, de Mercy sur Charity, et le ramena de Charity à M. Pecksniff. Ce manège se renouvela plusieurs fois ; mais, comme les jeunes filles, placées devant le feu, lui tournaient le dos, à l’exemple de leur père, et sans que personne parût s’occuper du nouveau venu, il fut bien obligé de dire enfin :

« Oh ! je vous demande pardon, monsieur Pecksniff ; je vous demande pardon de mon importunité ; mais…

— Il n’y a point d’importunité, monsieur Pinch, dit le gentleman d’un accent plein de douceur, mais sans détourner les yeux. Asseyez-vous, je vous prie, monsieur Pinch. Ayez la bonté de fermer la porte, s’il vous plaît, monsieur Pinch.

— Certainement, monsieur, dit Pinch, sans en rien faire cependant, mais ouvrant au contraire la porte un peu plus qu’auparavant, et avertissant avec vivacité quelqu’un qui était resté dehors : M. Westlock, monsieur, apprenant que vous étiez de retour chez vous…

— Monsieur Pinch, monsieur Pinch ! dit Pecksniff, tournant de côté sa chaise et le regardant avec la plus profonde mélancolie, je ne m’attendais pas à cela de votre part. Je n’avais pas mérité cela de votre part.

— Non ; mais sur ma parole, monsieur… dit Pinch avec chaleur.

— Moins vous en direz, monsieur Pinch, mieux cela vaudra, interrompit l’autre. Je n’articule pas de plainte ; vous n’avez pas besoin de vous excuser.

— Non ; mais ayez la bonté, monsieur, de m’entendre, s’il