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M. Pecksniff, dont les yeux étaient fixés sur lui, comme ils n’avaient cessé de l’être depuis le commencement de la scène ; puis il regarda de nouveau le plafond et ne répondit rien.

« Quant à votre pardon, monsieur Pecksniff, dit le jeune homme, je ne l’accepte pas sous ce nom-là. Je ne veux pas de pardon.

— Vous n’en voulez pas, John ? riposta M. Pecksniff avec un sourire. Il le faut bien, cependant. Vous n’y pouvez rien. La clémence est une haute qualité, une vertu supérieure, et qui plane bien au-dessus de votre contrôle ou de votre puissance, John. Je veux vous pardonner. Il vous est impossible de m’amener à me souvenir du tort que vous avez jamais pu me faire, John.

— Du tort ! s’écria l’autre, avec l’ardeur et l’impétuosité de son âge. Voilà qui est singulier !… Du tort ! Je lui ai fait du tort ! Il ne se rappelle pas même les cinq cents livres sterling qu’il m’a soutirées sous de faux prétextes, ni les soixante-dix livres par an pour mon éducation et mon logement, qui eussent été bien payés l’un et l’autre au prix de dix-sept livres !… Ne voilà-t-il pas un martyr !

— L’argent, John, dit M. Pecksniff, est la racine de tous les maux. Je gémis de voir qu’il a porté déjà de mauvais fruits en vous. Mais je veux tout oublier ; j’oublierai de même la conduite de cette personne égarée… »

Et ici, bien qu’il s’exprimât du ton d’un homme qui est en paix avec le monde entier, il prit un ton d’emphase qui signifiait parfaitement :

« Je vais avoir l’œil sur ce drôle. »

— … Cette personne égarée qui vous a conduit ici ce soir, cherchant à troubler (mais inutilement, je suis heureux de le déclarer) le repos d’esprit et la paix de celui qui, pour le servir, aurait versé jusqu’à la dernière goutte de son sang. »

En même temps, la voix de M. Pecksniff tremblait, et l’on entendait ses filles sangloter. En outre, des sons vagues flottaient dans l’air, comme si deux esprits invisibles s’étaient écriés, l’un : « Imbécile ! » l’autre : « Animal ! »

« Le pardon, dit M. Pecksniff, le pardon complet et sans réserve, n’est pas incompatible avec un cœur blessé ; seulement, si le cœur est blessé, le pardon devient une vertu plus grande encore. Meurtri et affecté jusqu’au plus profond de mon être par l’ingratitude de cette personne, je suis fier et heureux de déclarer que je lui pardonne. Non ! s’écria M. Pecks-