Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/352

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« Voilà deux ou trois semaines qu’ils jouent ce jeu, pensa Jonas plongé dans une sombre rêverie. Je n’ai jamais vu mon père s’occuper autant de cet homme qu’il l’a fait dans ces derniers temps. Eh quoi ? est-ce que par hasard vous feriez la chasse aux héritages, monsieur Chuff, hein ? »

Mais Chuffey était aussi loin de se douter des pensées de M. Jonas que de le voir s’approcher avec son poing fermé qu’il lui tenait tout près de l’oreille. L’ayant menacé tout à son aise, Jonas prit le flambeau sur la table, et, passant dans le cabinet vitré, il tira de sa poche un trousseau de clefs. Au moyen de l’une d’elles, il ouvrit un compartiment secret du bureau, ayant soin de regarder à la dérobée, pendant ce temps, pour s’assurer que les deux vieillards étaient bien encore devant le feu.

« Tout est en bon ordre, dit Jonas, soutenant sur sa tête le couvercle du bureau ouvert et déployant un papier. Voici le testament, monsieur Chuff. Trente livres sterling par an pour votre entretien, mon vieux compagnon, et tout le reste pour son fils unique Jonas. Vous n’avez pas besoin de vous donner tant de peine à faire le bon apôtre. Vous n’y gagneriez rien. Hé ! qu’est-ce que c’est que ça ?… »

C’était assurément quelque chose d’effrayant. De l’autre côté du vitrage, un visage regardait avec curiosité dans l’intérieur du cabinet ; et ce regard était fixé non sur Jonas même, mais sur le papier qu’il tenait à la main. Car les yeux attachés attentivement sur l’écriture se levèrent vivement lorsque Jonas eût jeté cette exclamation. Alors les yeux en question rencontrèrent ceux de Jonas, et il se trouva qu’ils ressemblaient à ceux de M. Pecksniff.

Laissant tomber à grand bruit le couvercle du bureau, mais sans oublier de le fermer à clef, Jonas, pâle et sans souffle, contempla ce fantôme.

Le fantôme fit un mouvement, ouvrit la porte et pénétra dans le cabinet.

« Qu’est-ce qu’il y a ? cria Jonas qui recula. Qu’est-ce que c’est ? D’où venez-vous ? Que voulez-vous ?

— Ce qu’il y a ?… dit la voix de M. Pecksniff, en même temps que M. Pecksniff en chair et en os lui décochait un sourire aimable. Ce qu’il y a, monsieur Jonas ?

— Qu’avez-vous besoin de venir regarder là, et de vous mêler de ce qui ne vous concerne pas ? dit aigrement Jonas. Qu’est-ce qui vous prend de venir en ville de cette façon et de