Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/363

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et Mme Gamp n’avait pas tardé à s’endormir derrière ses rideaux.

Il n’y avait pas grand mal à ça, si le marchand d’oiseaux se fût trouvé chez lui, comme il aurait dû y être ; mais il était dehors, et sa boutique était close. Les volets cependant n’en étaient pas fermés, et derrière chaque carreau on pouvait voir un tout petit oiseau dans une toute petite cage, gazouillant et exécutant sa voltige désespérée, et se cognant la tête au haut des barreaux ; tandis qu’un malheureux chardonneret, qui habitait le sommet d’une villa peinte en rouge avec son nom inscrit sur la porte, tirait de l’eau pour son usage particulier et faisait un muet appel à quelque brave homme pour lui verser dans son eau ne fût-ce qu’un liard de poison. En attendant, la porte était fermée. M. Pecksniff tourna et retourna le loquet : il fit tinter sourdement à l’intérieur une sonnette fêlée ; mais personne ne se montra. Le marchand d’oiseaux avait, outre son état, la spécialité de barbier à la mode et de coiffeur fashionable ; peut-être l’avait-on envoyé quérir tout exprès du quartier de la cour à l’autre bout de la ville, pour accommoder un lord ou disposer la frisure d’une lady ; quoi qu’il en soit, notre homme n’était point chez lui, et tout ce que pouvaient voir de sa personne les gens qui avaient affaire à lui, c’était son enseigne professionnelle ou, si vous l’aimez mieux, l’emblème de sa vocation ; un joli tableau ma foi, dans son genre ! représentant un coiffeur élégant frisant une belle dame devant un grand piano droit tout ouvert, et breveté s. g. d. g.

Eu égard à ces circonstances, M. Pecksniff, dans la naïveté de son cœur, recourut au marteau de la porte. Mais à peine eut-il frappé deux coups, que chaque fenêtre de la rue commença à s’embellir de têtes de femmes ; et avant même qu’il eût pu répéter son manège, des troupes entières de femmes mariées (dont quelques-unes étaient en mesure de donner avant peu de l’occupation à Mme Gamp) vinrent se grouper autour du pas de la porte, criant toutes d’un commun accord et avec une rare ardeur : « Frappez à la fenêtre, monsieur, frappez à la fenêtre. Bonté du ciel ! il est inutile de perdre ainsi votre temps. Frappez à la fenêtre ! »

Docile à ce conseil et, pour le mettre à exécution, empruntant le fouet du cocher, M. Pecksniff opéra un remue-ménage parmi les pots de fleurs rangés au premier étage et éveilla Mme Gamp qu’on entendit crier, à la grande satisfaction des commères : « J’arrive ! »