Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/368

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grands et se dressa sur la pointe des pieds) point de limites dans la dépense. J’ai reçu des ordres, monsieur, pour convoquer tous mes muets[1], et les muets coûtent cher, monsieur Pecksniff, sans parler de ce qu’ils boivent. J’ai reçu l’ordre de fournir des poignées plaquées en argent de la meilleure fabrique, ornées de têtes d’anges du modèle le plus cher ; de prodiguer les plumes à profusion ; en un mot, de faire quelque chose de véritablement magnifique.

— Mon ami, M. Jonas, est un excellent homme, dit M. Pecksniff.

— J’ai eu occasion, monsieur, dit Mould, d’apprécier des sentiments d’amour filial, de même que des cœurs dénaturés. C’est notre lot à nous autres. Nous pénétrons dans la connaissance de ces secrets-là. Mais jamais je n’ai observé rien d’aussi filial, rien d’aussi honorable pour l’humanité, rien d’aussi bien fait pour nous réconcilier avec le monde dans lequel nous vivons. Cela ne sert, monsieur, qu’à mieux prouver ce qui est si éloquemment démontré par le grand poëte dramatique, à jamais regrettable… enterré à… Stratford… savoir : qu’il y a du bon dans toute chose.

— J’aime beaucoup à vous entendre parler ainsi, monsieur Mould, observa Pecksniff.

— Vous être trop indulgent, monsieur. Et quel homme c’était que M. Chuzzlewit, monsieur ! ah ! quel homme c’était ! Vous pouvez parler tant que vous voudrez de vos lords-maires, de vos shérifs, de vos conseillers municipaux, de tous vos gens de clinquant et d’oripeaux ! ajouta Mould en agitant ses bras comme un défi à la cantonade ; mais montrez-moi dans cette ville un homme qui soit digne de marcher dans les chaussures de ce bon M. Chuzzlewit qui vient de décéder. Non, non, cria-t-il d’un ton d’amère raillerie, accrochez-les, ressemelez-les, réservez-les pour son fils jusqu’à ce qu’il soit assez vieux pour les porter ; mais ne les gardez pas pour votre usage ; elles ne sont pas faites à votre pied. Nous l’avons connu, dit encore Mould du même ton amer, tout en remettant son carnet dans sa poche ; nous l’avons connu, et nous ne nous laisserons pas attraper avec de la camelote. Bonjour, monsieur, monsieur Pecksniff.

M. Pecksniff lui rendit son salut ; et Mould, satisfait de s’être signalé, s’en allait avec un sourire vif sur les lèvres,

  1. Pleureurs et pleureuses de louage.