Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/372

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Ayant repris son expression habituelle, il se confia à la main qui le guidait et se laissa emmener. Mme Gamp, la bouteille sur un genou et le verre sur l’autre, s’assit sur un tabouret, secouant la tête pendant longtemps, jusqu’à ce qu’enfin, profondément absorbée sans doute, elle se versa une goutte de spiritueux et porta le verre à ses lèvres. À cette première goutte en succéda une seconde, puis une troisième : alors (soit par suite de ses tristes réflexions sur la vie et sur la mort, soit par l’effet de sa sympathie pour la liqueur), Mme Gamp tourna les yeux au point de les rendre invisibles. Mais c’est égal, elle continuait de secouer la tête.

Le pauvre Chuffey fut reconduit à son coin accoutumé ; il y resta paisible et en silence, si ce n’est qu’à intervalles éloignés il se levait et faisait quelques pas dans la chambre en se tordant les mains, ou en poussant tout à coup un cri étrange.

Durant une semaine entière, tous trois restèrent assis autour du foyer, sans mettre le pied dehors. M. Pecksniff aurait bien voulu sortir le soir ; mais Jonas avait tellement peur de le voir s’éloigner, fût-ce une seule minute, que son ami renonça à cette idée : ainsi, du matin au soir, ils séjournaient dans la sombre chambre, sans s’occuper ni se distraire.

Le poids de ce qui était étendu roide et immobile dans cette sombre chambre de l’étage supérieur pesait si fortement et si cruellement sur Jonas, qu’il finit par fléchir sous ce fardeau. Sept longs jours et sept longues nuits, il fut constamment accablé par l’idée fixe et effrayante de la présence de ce cadavre dans la maison. Si la porte remuait, il la regardait tout pâle et les yeux effarés, comme s’il était persuadé que des doigts de spectre pressaient le bouton. Si un souffle d’air faisait vaciller derrière lui la flamme du foyer, il hasardait un coup d’œil par-dessus son épaule, comme s’il tremblait d’apercevoir quelque fantôme se servant de son linceul pour éventer le feu. Le moindre bruit le troublait ; et une fois, la nuit, en entendant un pas au-dessus de sa tête, il s’écria que c’était le mort qui faisait le tour de sa bière, une, deux, une, deux, etc.

Il avait pour tout lit un matelas étendu sur le parquet du salon, sa chambre ayant été assignée à Mme Gamp, et M. Pecksniff n’était pas mieux couché. Le hurlement d’un chien devant la maison le remplissait d’une terreur qu’il ne pouvait déguiser. Il évitait le reflet des réverbères qui brillaient dans la fe-