Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/384

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opinion si favorable, si on voulait les approfondir, au lieu de se borner à les juger d’après l’étiquette du sac ! Les précédents sembleraient donc démontrer que M. Pecksniff appuyait ses paroles sur de bons arguments, et qu’il avait pu à juste titre s’exprimer ainsi, non par présomption, par orgueil ou par arrogance, mais dans un esprit de conviction solide et de sagesse incomparable.

M. Jonas, ayant peu l’habitude de se casser la tête sur des théories de cette nature, n’émit aucun avis au sujet de la question. Il n’accueillit pas même la nouvelle que venait de lui donner son compagnon de route, par un monosyllabe soit bon, soit mauvais, soit indifférent. Il garda, durant un quart d’heure au moins, un silence taciturne ; et, tout ce temps, il parut profondément occupé de soumettre un problème donné aux règles et aux calculs de l’arithmétique, ajoutant, retenant, multipliant, réduisant par division plus ou moins compliquée, procédant par la règle de trois simple et composée, échange ou trafic, parties aliquotes, intérêt simple, intérêt composé, et autres opérations mathématiques. Selon toute probabilité, le résultat de ce travail intérieur fut satisfaisant : car, lorsqu’il rompit le silence, ce fut de l’air d’un homme qui est arrivé à quelque résultat spécifique et qui se sent affranchi d’un état d’incertitude pénible.

« Allons, mon vieux Pecksniff (telle fut son interpellation joviale lorsqu’au relais il frappa sur le dos du gentleman), allons prendre quelque chose.

— De tout mon cœur !… dit M. Pecksniff.

— Si nous régalions aussi le conducteur ?…

— Certainement, répondit avec contrainte M. Pecksniff, si vous croyez que cela ne lui fasse pas de mal et ne le rende pas mécontent de sa position. »

Jonas se contenta de rire, et, s’élançant du haut de l’impériale avec une grande vivacité, il exécuta assez gauchement sur la route une espèce de cabriole. Après cet exploit, il entra dans l’auberge, où il commanda une telle profusion de liqueurs que M. Pecksniff se demandait avec quelque inquiétude s’il jouissait parfaitement de ses facultés intellectuelles, jusqu’au moment où Jonas le rassura à cet égard en lui disant, lorsqu’il fut temps pour la diligence de repartir :

« Durant une semaine et plus je vous ai traité, je vous ai fait jouir de toutes les primeurs de la saison. Aujourd’hui, Pecksniff, c’est à vous de payer. »