Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/444

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« Voici les outils, dit Mark, tirant sa boîte d’instruments de son associé et plantant le compas dans une souche d’arbre devant la porte : nous les laisserons ainsi en plein air, pour montrer que nous sommes arrivés bien approvisionnés. Et maintenant, si quelque gentleman désire se faire bâtir une maison, il fera bien de donner ses ordres avant que nous ayons d’autres commandes. »

Vu l’intensité de la chaleur, Mark n’avait déjà pas trop mal employé sa matinée ; mais sans se reposer un moment, quoiqu’il fût en nage, il rentra dans la maison, d’où il ressortit presque aussitôt en tenant une hache avec laquelle il était tout prêt à accomplir les choses les plus impossibles.

« Voilà, monsieur, dit-il, par là-bas un vieux vilain arbre ; il n’y a rien de mieux que de l’abattre. Nous pourrons construire notre four cette après-midi. Je ne crois pas qu’il y ait au monde un pays plus favorisé de terre glaise qu’Éden. C’est toujours ça. »

Mais Martin ne répondait pas. Durant tout le temps, il était resté assis, la tête entre ses mains, contemplant le courant qui passait avec impétuosité, et songeant peut-être à la rapidité avec laquelle il se dirigeait vers l’Océan, ce grand chemin de la patrie, de la patrie qu’il ne reverrait plus !

Rien, pas même les coups vigoureux que Mark appliquait à l’arbre, ne pouvait le tirer de sa triste méditation. Jugeant que tous ses efforts pour le distraire restaient superflus, Mark suspendit sa besogne et s’approcha de lui.

« Ne vous laissez pas aller, monsieur.

— Oh ! Mark, répondit son ami, qu’ai-je donc fait dans toute ma vie pour avoir mérité un sort si cruel ?

— Quant à ça, monsieur, répliqua Mark, chacun de ceux qui sont ici peut tenir le même langage ; et plusieurs peut-être avec plus de raison que vous et moi. Courage, monsieur ! faites quelque chose. Ne pourriez-vous pas vous soulager un peu l’esprit, en écrivant vos observations particulières dans une lettre à Scadder ?

— Non, dit Martin, hochant tristement la tête, je n’en suis plus là.

— Mais si vous n’en êtes déjà plus là, il faut donc que vous soyez malade et alors vous avez besoin de soins ?

— Ne vous inquiétez pas de moi, dit Martin. Arrangez-vous du mieux que vous pourrez. Bientôt vous n’aurez à vous occuper que de vous seul. Et alors puisse Dieu vous ramener dans