Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/446

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Ma foi ! murmura l’orphelin, ça ne sera pas trop tôt. Qui que ce soit, voilà trois fois qu’on frappe, et chaque coup suffirait pour réveiller les… »

Il éprouvait une telle répugnance à l’idée d’évoquer les morts, qu’il s’arrêta avant que ce mot fût arrivé sur ses lèvres, et dit à la place :

« Les Sept Dormants.

— Tout de suite, monsieur Jonas, tout de suite, répéta Pecksniff. Thomas Pinch… »

Dans sa grande agitation, il ne put trouver assez de présence d’esprit soit pour appeler Tom « son cher ami » soit pour le qualifier de « misérable. » Mais, à tout hasard, il commença par lui montrer le poing, en lui disant :

« Montez à la chambre de mes filles, pour leur apprendre qui est ici. Silence ! silence ! vous dis-je ; m’entendez-vous, monsieur ?

— J’y vais tout de suite, monsieur ! s’écria Tom, qui partit stupéfait pour exécuter cet ordre.

— Vous… ha ! ha ! ah !… vous m’excuserez, monsieur Jonas, dit Pecksniff, si je ferme cette porte un instant, n’est-ce pas ? Il s’agit sans doute d’une affaire qui concerne ma profession. Je crois en être parfaitement certain. Je vous remercie. »

Alors M. Pecksniff, fredonnant doucement un refrain champêtre, mit sur sa tête son chapeau de jardin, saisit une bêche et ouvrit la porte extérieure. Il se montra sur le seuil, très-calme, comme s’il croyait avoir entendu, du fond de son verger, un tout petit coup, sans en être bien sûr.

En voyant devant lui un gentleman et une dame, il recula avec cet air de confusion que montre un homme de bien lorsqu’il est franchement surpris. Un moment après, il reconnut ses visiteurs et s’écria :

« Monsieur Chuzzlewit ! Puis-je en croire mes yeux ? Mon cher monsieur ! mon bon monsieur ! C’est un jour de joie, un heureux jour. Entrez, je vous prie, mon cher monsieur. Vous me trouvez en costume de jardin. Vous m’excuserez, je pense. Le jardinage est un goût qui ne date pas d’aujourd’hui, un goût primitif, mon cher monsieur : car, si je ne me trompe, Adam fut notre premier patron. Mon Ève, j’ai la douleur de le dire, n’existe plus, monsieur ; mais… »

Ici, il montra sa bêche, secoua la tête, comme si sa gaieté apparente lui coûtait quelque effort et ajouta :

« Mais j’exerce encore un peu la profession d’Adam. »