Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/462

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— Mon cher monsieur Chuzzlewit, dit Merry en souriant, pour la légèreté, ma tête ne pèse pas plus qu’une plume. C’est un véritable ballon, je l’avoue ; ce n’est pas comme la vôtre. »

Il attendit tranquillement qu’elle eût achevé de parler, et ensuite il dit à son tour gravement et lentement, avec un accent plein de douceur, comme pour appeler sa confiance :

« Désireriez-vous, ou bien y aurait-il dans votre cœur quelque chose qui vous fît secrètement désirer de rompre cet engagement ? »

Merry bouda de nouveau, puis baissa les yeux, arracha des brins d’herbe et haussa les épaules.

Non. Elle ne croyait pas avoir eu jamais cette pensée. Elle était même sûre de ne l’avoir jamais eue. Autrement, elle le dirait bien. Non, elle n’avait songé à rien de semblable.

« Quoi ! dit Martin, n’avez-vous jamais prévu que votre existence en ménage pourrait être misérable, pleine d’aigreur, l’existence enfin la plus malheureuse ? »

Merry baissa encore les yeux, et cette fois elle arracha l’herbe jusqu’à la racine.

« Cher monsieur Chuzzlewit ! Quelles paroles étranges ! Naturellement, j’aurai des querelles avec lui ; mais j’en aurai avec quelque mari que ce fût. Dans tous les ménages on se querelle, j’imagine ; mais quant à la condition misérable et pleine d’aigreur dont vous parlez, il faudrait pour cela que ce fût lui qui fût le mieux partagé dans la communauté, et j’espère bien avoir la meilleure part. Je suis sûre de mon affaire, s’écria Merry en secouant la tête et riant aux éclats ; car j’ai fait de cet homme un esclave soumis.

— À la bonne heure ! dit Martin en se levant, à la bonne heure ! Je voulais connaître votre pensée, et vous me l’avez dévoilée. Je vous souhaite bien des prospérités. Des prospérités !… » répéta-t-il en la regardant fixement et montrant la porte par laquelle Jonas entrait en ce moment.

Et alors, sans attendre son neveu, il passa par une autre porte et s’en alla.

« Quel terrible vieillard !… se dit la frivole Merry. Mais voyez un peu ce monstre hideux qui rôde en plein jour dans le cimetière pour épouvanter les gens !… N’approchez pas, griffon, ou bien je vais me sauver. »

Le griffon, c’était M. Jonas. Il s’assit sur le gazon à côté de Merry, malgré sa défense, et lui dit en faisant la mine :

« Qu’est-ce que mon oncle vous contait ?