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que petit emprunt au nom de son ami. C’est en émettant ces réflexions qu’il demandait la permission de se retirer pour souhaiter à M. Pecksniff une excellente nuit. Et il partit de cette façon, sans être confus le moins du monde de son peu de succès.

Les méditations de M. Pecksniff, ce soir-là, à l’auberge du Dragon, et, la nuit, dans sa propre maison, furent d’une nature très-sérieuse, très-grave, d’autant plus que la nouvelle qu’il avait reçue de MM. Tigg et Slyme, touchant l’arrivée d’autres membres de la famille, s’était pleinement confirmée par un fait plus particulier. En effet, les Spottletoe étaient allés tout droit au Dragon, où, en ce moment, ils étaient établis pour y monter la garde, et où leur arrivée avait produit une telle sensation, que Mme  Lupin, flairant leurs projets avant même qu’ils eussent passé une demi-heure sous son toit, courut elle-même le plus secrètement possible en informer M. Pecksniff. Ce fut dans son ardeur à remplir cette mission charitable, qu’elle manqua d’apercevoir ce gentleman qui entrait par la principale porte du Dragon, juste au moment où elle sortait par une porte de derrière. Cependant, M. Anthony Chuzzlewit et son fils Jonas s’étaient économiquement installés à la Demi-Lune et les Sept Étoiles, humble cabaret de l’endroit ; et le coche suivant amena au centre de l’action tant d’autres aimables membres de la famille (qui, durant tout le chemin, n’avaient cessé de se quereller à l’intérieur et sur l’impériale de la voiture, à en faire perdre la tête au cocher), qu’en moins de vingt-quatre heures le chétif mobilier de la taverne se trouva bien renchéri, et que les appartements meublés de la localité, se composant de quatre lits et un sofa, éprouvèrent une hausse de cent pour cent sur la place.

En un mot, les choses en vinrent à ce point, que la famille presque tout entière vint bloquer le Dragon bleu, et l’investit positivement. Martin Chuzzlewit était en état de siège. Mais il résistait bravement, refusant de recevoir toutes lettres, messages et paquets, ou de traiter avec qui que ce fût, et ne laissant échapper aucune espérance ou promesse de capitulation. Pendant ce temps, les forces de la famille se rencontraient sans cesse dans les diverses parties du voisinage ; et comme, de mémoire d’homme, jamais on n’avait vu deux branches de l’arbre des Chuzzlewit d’accord ensemble, il y eut des escarmouches, des railleries échangées, des têtes cassées,