Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/75

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que, si on l’a rouge, c’est qu’on l’a reçu tel sans avoir été préalablement consulté ; que d’ailleurs elle ne savait pas s’il y avait des nez plus rouges les uns que les autres, et qu’elle en connaissait qui n’avaient rien à envier à personne. Cette remarque fut accueillie avec un rire perçant par les deux sœurs de l’orateur. Alors Charity Pecksniff demanda très-poliment si quelqu’une de ces graves observations était à son adresse ; et ne recevant pas de réponse plus explicite que celle du vieil adage : « Qui se sent morveux se mouche, » elle entama une réplique passablement acrimonieuse et personnelle ; encouragée et fortement soutenue par sa sœur Mercy, qui se mit à rire de tout son cœur, beaucoup plus naturellement que qui que ce fût. Et comme il est absolument impossible qu’un désaccord se manifeste entre des femmes sans que les autres femmes qui assistaient à la scène y prennent une part active, Mme  Samson, ses filles, mistress Spottletoe, et jusqu’à la cousine sourde qui ignorait complètement le sujet de la dispute (mais qu’est-ce que cela fait ? était-ce une raison pour ne pas en prendre sa part ?), toutes se jetèrent aussitôt dans la mêlée.

Comme les deux miss Pecksniff étaient bien en état de tenir tête aux trois miss Chuzzlewit, et que ces cinq demoiselles ensemble avaient, en style figuré du jour, une bonne provision de vapeur à dépenser, l’altercation n’eût pu manquer de durer longtemps, sans la haute valeur et les prouesses de la femme forte, qui, en vertu de sa réputation pour la puissance de ses sarcasmes, travailla et pelota si bien mistress Spottletoe à coups de langue, que la pauvre dame, au bout de deux minutes au plus d’engagement, n’eut plus d’autre refuge que ses larmes. Elle les versa si abondamment, et M. Spottletoe en éprouva tant d’agitation et de chagrin, que ce gentleman, après avoir porté aux yeux de M. Pecksniff son poing fermé, comme si c’était une curiosité naturelle, dont l’examen sérieux ne pouvait que lui rapporter honneur et profit, et après avoir offert, sans que personne en sût le motif particulier, de donner à M. Georges Chuzzlewit des coups de pied dans le derrière pour la bagatelle de six pence, prit sa femme sous le bras et sortit indigné. Cette diversion, en appelant sur un autre sujet l’attention des parties belligérantes, mit un terme au combat, qui se ranima bien encore deux ou trois fois par sauts et par bonds, mais finit par s’éteindre.

Ce fut alors que M. Pecksniff se leva de nouveau de sa chaise. Alors aussi les deux miss Pecksniff se composèrent un