Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/89

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temps un mot ou deux sur des sujets indifférents, tout en jetant des regards obliques sur le visage animé de son étrange ami, qui, du reste, ne paraissait pas seulement s’en douter, jusqu’au moment où ils atteignirent un certain coin de la route qui touchait aux faubourgs de la ville. Là, Mark lui manifesta le désir de descendre.

« Mais, Dieu me pardonne, dit M. Pinch, qui parmi ses observations avait découvert que le devant de la chemise de son compagnon n’était pas moins exposé à l’air que si l’on était au milieu de l’été, et servait de point de mire à chaque coup de vent, pourquoi ne portez-vous pas un gilet ?

— À quoi bon, monsieur, demanda Mark.

— À quoi bon ? Mais pour vous tenir la poitrine chaude.

— Dieu vous bénisse, monsieur !… s’écria le jeune homme ; vous ne me connaissez pas. Ma poitrine n’a pas besoin d’être chauffée. Et puis d’ailleurs, voyez donc ! qu’est-ce que je gagnerais à porter un gilet ? Une inflammation des poumons peut-être ! Par exemple, c’est ça qui aurait du mérite, d’être jovial avec une bonne inflammation de poitrine. »

Comme M. Pinch ne répondait pas autrement qu’en respirant avec effort, en ouvrant de grands yeux et secouant fortement la tête, Mark le remercia de sa complaisance, et, sans lui donner la peine d’arrêter, il sauta légèrement à terre. Puis il s’élança en avant, avec sa cravate rouge et son habit ouvert, jusqu’à une ruelle qui croisait la route. De temps en temps il se retournait pour faire un signe à M. Pinch avec un air de vrai sans-souci, de franc luron comme on n’en voit pas. Son compagnon tout pensif poursuivit son voyage jusqu’à Salisbury.

M. Pinch s’était laissé dire que Salisbury était une ville déplorable, un lieu de dissipation et de débauche. Après avoir fait dételer son cheval et averti le garçon d’écurie qu’il reviendrait dans une heure ou deux pour voir manger l’avoine à son bucéphale, il prit sa course errante le long des rues, avec l’idée vague qu’il allait avoir du plaisir à voir tous les mystères et les diableries dont elles devaient être pleines. Pour un homme d’habitudes aussi paisibles que les siennes, cette illusion trouvait un encouragement dans la circonstance particulière que c’était jour de marché, et que les rues voisines de la place où se tenait le marché étaient remplies de charrettes, de chevaux, d’ânes, de paniers, de chariots, de plantes potagères et autres objets de consommation, tels que