Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/91

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joailliers, où s’étalaient tous les trésors de la terre, et où il y avait une telle quantité de grosses montres d’argent suspendues à chaque panneau, et si larges que, si elles ne marchaient pas en montres de première qualité, ce n’était certainement pas qu’elles pussent décemment se plaindre de manquer de place pour le mouvement. Franchement, elles étaient assez fortes et peut-être assez laides pour être excellentes, s’il est vrai que les plus laides sont, comme on dit, les meilleures. Aux yeux de M. Pinch, cependant, elles étaient plus petites que celles de Genève, et il ne put voir une montre énorme à répétition, qui avait par conséquent le rare privilège de sonner chaque quart d’heure dans le gousset de son heureux propriétaire, sans regretter ardemment de n’être pas assez riche pour en faire l’emplette.

Mais qu’est-ce que l’or, l’argent, les pierres précieuses et l’horlogerie, auprès des boutiques de librairie, d’où s’échappait une agréable odeur de papier fraîchement mis en presse, qui ravivait dans l’esprit de notre voyageur le souvenir de la grammaire toute neuve qu’il avait eue à l’école, il y avait longtemps de cela, et où il avait tracé en superbe écriture, sur la feuille volante, ces mots : Maître Pinch, institution de Grove-House ! Et cette senteur de cuir de Russie, et ces rayons de volumes rangés avec soin à l’intérieur, quel bonheur, rien que d’y penser ! À la montre s’étalaient, dans leur primeur, les ouvrages nouveaux venus de Londres, tout ouverts, avec le titre et parfois même la première page du premier chapitre en évidence, afin de tenter l’amateur imprudent qui, après avoir lu le commencement, et sans pouvoir tourner la page, poussé par un désir aveugle, se précipiterait dans le magasin pour y acheter le séducteur ! Le gracieux frontispice et l’élégante vignette indiquaient, comme les poteaux de poste placés à l’entrée des faubourgs des grandes villes, le riche fonds d’incidents contenu dans tel ou tel ouvrage. Il y avait encore une collection de livres offrant de graves portraits et des noms consacrés par le temps. M. Pinch, qui en connaissait bien le contenu, eût donné des trésors pour les avoir en bonne forme sur l’étroite planchette au-dessus de son lit, dans la maison de M. Pecksniff. Ah ! cette boutique était un vrai crève-cœur !

En voici une autre, moins tentante peut-être, mais encore bien attrayante. C’est là qu’on vendait des livres pour la jeunesse ; on y voyait le pauvre Robinson Crusoë, seul dans sa