Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/93

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n’était que la cloche de la vieille cathédrale commença à sonner pour le service du soir. Sur quoi, il s’éloigna.

Or, l’auxiliaire de l’organiste était un ami de M. Pinch ; heureuse circonstance, car c’était aussi un homme très-paisible, très-doux, qui à l’école avait été, comme Tom, une sorte de garçon un peu rococo, mais fort aimé, malgré cela, de leurs bruyants camarades. Par une heureuse chance (Tom disait toujours qu’il avait de la chance), il arriva que l’auxiliaire était seul de service cette après-midi, et que Tom ne trouva que lui dans la tribune poudreuse de l’orgue. Ainsi, tandis qu’il jouait, Tom lui servait au soufflet ; et, le service terminé, Tom lui-même prit l’orgue en main. L’ombre descendait, et la lumière orangée qui, à travers les fenêtres antiques, se projetait dans le chœur, était mêlée d’une teinte de rouge sombre. Pendant que les sonores arpèges résonnaient au sein de l’église, Tom croyait les entendre réveiller un écho dans la profondeur des plus anciennes tombes, comme dans le plus intime mystère de son propre cœur. De grandes pensées, de grandes espérances, se pressaient dans son esprit en même temps que la brillante harmonie vibrait dans l’air : surtout il revoyait toujours, plus graves peut-être et plus solennelles, mais avec leur caractère reconnaissable, toutes les images qui lui avaient passé sous les yeux depuis le matin jusqu’aux frais souvenirs de son enfance. Le sentiment qu’éveillaient les sons, en se prolongeant, embrassait en quelque sorte toute sa vie et tout son être ; et, à mesure que les réalités de pierre, de bois et de verre dont il était environné, devenaient de plus en plus sombres, à cette heure crépusculaire, ses visions, au contraire, devenaient de plus en plus brillantes : si bien qu’il eût oublié le nouvel élève et le maître qui l’attendaient, et serait resté là peut-être jusqu’à minuit, dans l’expansion et l’extase de son cœur, si le vieux bedeau, plus terre à terre, ne fût venu lui rappeler la nécessité où il était de mettre la cathédrale sous clef. M. Pinch prit donc congé de son ami avec bien des remercîments, s’orienta du mieux qu’il put à travers les rues maintenant éclairées par le gaz, et courut en toute hâte chercher son dîner.

C’était le moment où les fermiers regagnaient leur demeure sur leur bidet. Il n’y avait personne dans le parloir sablé de la taverne où M. Pinch avait laissé son cheval. Il eut donc la jouissance de voir sa petite table tirée tout près du feu, et de trouver à s’exercer sur un bifteck cuit à point avec des pommes