Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/434

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CHAPITRE XXVII.
Dans lequel les tables sont tournées sens dessus dessous.

Les événements que nous venons de rapporter avaient retardé, mais de quelques heures seulement, les projets favoris du vieux Martin, si longtemps enfouis dans son cœur, et qu’un transport d’indignation avait si souvent failli révéler brusquement pendant son séjour chez Pecksniff. Étourdi comme il l’avait été d’abord par les renseignements que Tom Pinch et John Westlock lui avaient communiqués sur la nature supposée de la mort de son frère ; accablé par les dépositions ultérieures de Chuffey et de Nadgett, et par cet entraînement de circonstances qui avaient abouti au suicide de Jonas, catastrophe dont il fut immédiatement informé, Martin voyait pour le moment ses projets et ses espérances ajournés par ces incidents divers qui venaient se jeter violemment entre lui et son but ; cependant leur violence même et l’ensemble tumultueux de toutes ces scènes l’encouragèrent à exécuter ses plans avec plus de rapidité et d’énergie. Dans chacune de ces circonstances, dans tous ces actes de cruauté, de lâcheté et de perfidie, il reconnaissait le germe funeste qui leur avait donné naissance. La racine de cette mauvaise herbe, c’était l’égoïsme, l’égoïsme cupide, ardent, exigeant, tyrannique ; l’égoïsme avec son long cortège de soupçons, de ruses, de tromperies, et toutes les conséquences qui en découlent. M. Pecksniff en avait offert au vieillard un si parfait modèle, que le bon, le tolérant, le patient Pecksniff, était devenu pour Martin l’égoïsme incarné, l’hypocrisie en personne. Et plus étaient odieuses les formes que ces vices révélaient maintenant aux regards de Martin, plus ce dernier éprouvait d’amère consolation dans son projet de faire enfin bonne justice à M. Pecksniff et à ses victimes.

Il apporta dans cette œuvre, non-seulement l’énergie et la détermination naturelle que le lecteur a pu reconnaître dans son caractère dès le début de ce récit, en faisant connaissance avec ce gentleman, mais encore toute cette vigueur concentrée qui, en se nourrissant d’un aliment intérieur, avait pris d’autant plus d’ardeur qu’elle avait été obligée de se compri-