Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/57

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— Grand jour ou nuit noire, qu’est-ce que ça me fait à moi ? fut l’aimable réponse du mari.

– C’est égal, la nuit a passé vite. J’en ai été quitte pour veiller un peu ; ce n’est pas grand’chose.

– Une autre fois, veillez encore pour moi, et vous verrez ! grommela Jonas.

– J’ai lu toute la nuit, continua-t-elle. J’ai commencé quand vous êtes parti, et j’ai continué jusqu’à votre retour. C’est la plus étrange histoire, Jonas, et elle est véritable, à ce que dit le livre. Je vous la raconterai demain.

– Ah ! elle est véritable ? dit Jonas d’un ton bourru.

– Le livre le dit.

– Qu’est-ce qu’elle chante, cette histoire ? Ne parle-t-elle pas d’un homme bien résolu à dompter sa femme, à briser son esprit, à rompre son caractère, à fouler aux pieds ses caprices comme autant de coquilles de noix, à la tuer, peut-être ? …

– Non, pas un mot de cela, répondit-elle vivement.

– Ah ! … Ce sera pourtant une histoire véritable, avant peu, bien que le livre n’en dise pas un mot. C’est un livre menteur, à ce que je vois, et un livre écrit pour des menteurs, qui plus est. Mais vous êtes sourde. Je l’avais oublié. »

Il y eut un nouvel intervalle de silence : le jeune groom se mettait en devoir de s’esquiver quand il entendit le pas de Merry sur l’escalier ; il s’arrêta. Elle alla vers Jonas, à ce qu’il sembla, et lui parla avec tendresse, lui disant qu’en toute chose elle défèrerait à sa volonté, qu’elle consulterait ses désirs et lui obéirait, et qu’ils seraient tous deux bien heureux ensemble, s’il voulait être gentil avec elle. Il lui répondit par une imprécation et… par un soufflet ? Ce n’est pas possible. Si fait. C’est la vérité : oh ! le lâche ! il répondit par un soufflet.

Pas de pleurs, pas de colère, pas de reproches éclatants. Ses pleurs mêmes, ses sanglots, elle les étouffa en s’attachant étroitement à son mari. Elle se borna à lui dire, à lui répéter dans le désespoir de son cœur :

« Comment pouvez-vous… pouvez-vous… pouvez-vous… »

Le reste se perdit dans ses larmes.

Ô femme, bien-aimée de Dieu dans la vieille Jérusalem ! le meilleur d’entre nous doit être indulgent pour tes fautes, ne fût-ce que par respect pour la souffrance que tu éprouveras d’être obligée de porter contre nous un terrible témoignage au jour suprême du jugement !