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ordinaires. Il y a de plus quelques vestiges de fondations de bénéfices & du droit de patronage dans le Canon 10 du premier Concile d’Orange ; mais l’usage de ces temps-là est bien éloigné de celui des derniers siècles. On donnoit donc dès-lors du bien de l’Eglise aux Clercs en usufruit. En 506 le Concile d’Agde permet aussi aux Clercs de retenir les biens de l’Eglise, suivant la permission de l’Evêque, sauf le droit de l’Eglise, & sans pouvoir les vendre, ou les donner, sous peine d’indemniser l’Eglise de leur bien propre, & d’être privés de la Communion. Le IIIe Concile d’Orléans en 558, indique encore la même chose dans son 17e Canon. Telle fut donc l’origine des bénéfices, qui commencèrent par conséquent avec le VIe siècle ou même dès le Ve : car en tous ces Canons, on en parle comme d’une chose déjà établie, & en usage au moins pour quelques cas particuliers. Le plus souvent les offrandes & les revenus se partageoient par l’avis du Clergé, selon le mérite de chaque Prêtre ; & cela se pratiquoit encore au VIIIe & au IXe siècle à la fin duquel le P. Thomassin remarque néanmoins que le nom de bénéfice étoit déjà en usage dans l’Eglise. Dans le XIIe siècle on partagea les revenus, et on fixa à chacun une portion & une subsistance certaines : de-là font venues tant de lois qui composent la Jurisprudence Canonique. Chacun se contenta d’abord d’un seul bénéfice ; mais la pluralité s’introduisit dans la suite sous prétexte d’équité ; parce qu’un Prêtre n’avoit pas assez d’un bénéfice pour subsister, on lui permit d’en posséder deux, & enfin plusieurs, jusqu’à ce qu’il fût rempli du nécessaire. Mais on étendit si loin ce nécessaire, qu’il n’y eut plus de règle fixe. On regarda la personne autant que la qualité ; en sorte que les Cardinaux, qui prétendent s’égaler aux Princes, prétendent aussi avoir un revenu conforme à leur condition. On peut ajouter ici ce mot de la Bruyère : Que tel homme monte en chaire, sans autre talent ni vocation, que le besoin d’un bénéfice.

Le ministère, ou bénéfice, n’étoit point autrefois distingué de l’ordination ; c’est pourquoi lorsque par l’introduction du droit nouveau ils ont été séparés, on a toujours gardé l’ancienne maxime ; savoir, que celui qui ordonne confère aussi le bénéfice, & que celui qui ne peut point ordonner, ne peut conférer aucun bénéfice. Mais peu-à-peu les Papes ont dérogé par leurs privilèges & leurs exemptions au droit commun, qui étoit fondé sur le droit ancien. Nous voyons présentement que les Abbés exempts de la Juridiction des Ordinaires confèrent de plein droit des Cures & d’autres bénéfices.

On a beaucoup écrit contre la pluralité des bénéfices. La Place, Recteur de l’Université de Paris, a fait un traité qui a pour titre, De singularitate beneficiorum. Le Sieur De la Roque, Ministre Calviniste, écrivit aussi en 1688 contre la pluralité des bénéfices ; & jusqu’ici personne n’avoir osé se déclarer publiquement, ni écrite en faveur de cet abus, qu’un Auteur anonyme qui sous le nom d’Abbé de Sidichembech (Jac. Boileau) fit paroître en 1710, un ouvrage intitulé, De Re Bénéficiarià Liber singularis, sive Questionis celebris ac difficilis, &c. Ἀνάϰρισις. Il fut aussitôt solidement réfuté par plusieurs écrits. Le IIIe & le IVe Concile de Latran ont condamné la pluralité des bénéfices.

Contentez-vous d’un bénéfice.
Ce point n’est pas indifférent :
En avoir dix, c’est avarice ;
S. Augustin n’en veut pas tant.

Ce mot se trouve aussi dans le Catholicon d’Espagne en une autre acception.

A chacun le sien, c’est justice :
A Paris seize quarteniers,
A Montfaucon seize piliers,
C’est à chacun son bénéfice.


c’est-à-dire, ce qu’il mérite.

Bénéfice, se prend aussi pour le lieu même où est l’Eglise & le bien du Bénéficier. Ce bénéfice est bien situé. Acad. Fr.

Bénéfice, signifie aussi, gain, profit, avantage. Lucrum, commodum, fructus, utilitas. Les Banquiers de Lyon font souvent tenir de l’argent à Paris avec bénéfice ; c’est-à-dire, qu’au lieu de demander des remises pour le change, ils donnent du profit. Les Changeurs donnent du bénéfice en leur postant à changer des louis d’or. On dit, qu’un Traitant a eu du bénéfice dans une affaire, quand il a profité ; qu’une telle somme a tourné à son bénéfice. En matière de loterie on appelle avoir un bénéfice, pour dire, avoir un billet marqué, avoir un bon lot.

☞ Le gain, dit M. l’Abbé Girard, semble être quelque chose de très-casuel, qui suppose des risques & du hasard ; voilà pourquoi ce mot est d’un grand usage pour les joueurs & pour les commerçans. Le profit paroît plus sûr, & venir d’un rapport habituel, soit du fonds, soit d’industrie, ainsi l’on dit les profits du jeu, pour ceux qui donnent à jouer, ou fournissent les cartes : & le profit d’une terre, pour exprimer ce qu’on en retire outre les revenus fixés par les baux. Le bénéfice semble dépendre de la bienveillance des autres. Il ne le dit guère que pour les Banquiers, les Commissionnaires, le Change, & le produit de l’argent ou dans la Jurisprudence, pour des héritiers, qui, craignant de trouver une succession surchargée de dettes, ne l’acceptent que par bénéfice d’inventaire.

Le joueur dit, j’ai peu gagné ; le marchand, je n’ai fait aucun profit ; le banquier & le vendeur, je n’en tire aucun bénéfice. Voyez tous ces mots, ainsi que Lucre & Emolument, Avantage, Utilité.

En termes de Médecine, on appelle bénéfice de ventre, un dévoiement naturel & spontané qui arrive sans aucune médecine. Alvi profluvium. On dit aussi, bénéfice de nature.

En termes de Jurisprudence, il signifie grâce, concession gratuite du Prince. On dit qu’on est reçu au bénéfice de cession, quand on reçoit un homme à abandonner les biens à ses créanciers ; moyennant quoi il est élargi des prisons, excepté pour les cas réservés par les Ordonnances.

En termes de Chancellerie, on appelle des Lettres de bénéfice d’âge, celles que les mineurs obtiennent pour être émancipés, & avoir la faculté de gouverner leur revenu depuis dix-huit ans jusqu’à la pleine majorité ; mais ils ne peuvent vendre ni aliéner, ni hypothéquer leurs immeubles, qu’ils n’aient atteint l’âge de majorité. Les clauses des lettres de bénéfice d’âge font que les parens paternels & maternels seront appelés, qu’ils donneront leur consentement, & que le mineur est capable d’administrer ses biens, & de jouir de ses revenus. Litteræ Principis quibus administrare bona minoribus conceditur.

Il y a aussi des Lettres de bénéfice d’inventaire, qu’on obtient pour être héritier d’un homme sans être obligé de payer les dettes au de-là des forces de sa succession, de laquelle à cet effet on fait inventaire, pour en rendre compte, s’il est besoin. Litteræ Principis quibus hæreditatem adeunti conceditur, tantùm teneri, quantùm valere bona hæreditatis contingit. C’est Justinien qui a mis dans l’usage commun le bénéfice d’inventaire, par lequel l’héritier n’est responsable ni envers les créanciers, ni envers les légataires, que jusqu’à la concurrence des biens. C’est une grâce du Prince qui fut d’abord introduite par l’Empereur Gordien, en faveur des gens de guerre. L’Empereur Justinien l’étendit ensuite à tous ses sujets ; ce qui étoit nécessaire dans un temps où les successions étoient tellement obérées, à cause des grandes guerres que l’Empire avoir soutenues, que personne n’osoit se déclarer héritier. L’héritier présomptif, qui n’accepte la succession que sous bénéfice d’inventaire, ne peut être exclus par un parent plus éloigné qui se déclare héritier pur & simple. Les Lettres de bénéfice d’inventaire s’adressent au Juge de l’impétrant, s’il est royal, sinon mandement est fait au premier Huissier, ou Sergent Royal, de faire commandement au Juge du Seigneur haut Justicier, de procéder