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CON

monde moral, pour découvrir par toute la terre une étonnante inégalité dans les conditions humaines : les unes immédiatement ordonnées par la providence du Créateur ; des grands & des petits, des riches & des pauvres, tels uniquement par le sort de leur naissance : les autres établies par la prudence des Législateurs, pour maintenir chacune dans ses droits & dans ses devoirs : des Princes, des Magistrats, des Officiers de toutes espèces, préposés par les loix, ceux-ci pour veiller, ceux-là pour commander, d’autres pour exécuter. C’est ce que nous entendons par ordre civil & politique.

☞ Il n’est pas question de le justifier à ceux qui auroient le malheur d’être mécontens de leur partage. Il n’est jamais permis de demander à Dieu raison de ses Ordonnances, & il n’est plus temps de la demander aux hommes. L’ordre est établi, nous ne le changerons pas, & nous aurons plutôt fait de nous y soumettre que de nous en plaindre. Mais de plus, sans demander ni à Dieu ni aux hommes raison de leur conduite, n’est-il pas évident que dans l’état présent de la nature humaine, cette inégale distribution des biens & des rangs étoit absolument nécessaire, & que de-là même il résulte dans l’Univers une espèce de beauté qui compense peut-être avec usure le desordre apparent de l’inégalité des partages ?

☞ Que cette inégalité soit une suite nécessaire de l’état présent de la nature humaine, la preuve en saute aux yeux. Faites aujourd’hui entre les hommes le partage le plus égal & le plus géométrique des biens de la Terre, l’inégalité s’y remettra demain par la violence des uns, ou par la mauvaise économie des autres. Il faudroit ignorer trop parfaitement le monde pour en douter. De même que l’on mette aujourd’hui tous les hommes dans un parfait niveau pour les rangs ; ce niveau, dont la théorie paroit si agréable, se verra demain renversé dans la pratique par l’esprit de domination, qui saisira les plus forts, pour s’élever sur la tête des plus foibles, ou par l’esprit d’adulation, qui prosternera toujours les plus foibles aux piés des plus forts. En faut-il d’autres preuves que le malheur des Etats qui tombent dans l’anarchie par le mépris de l’ordre établi par les loix ! quelle confusion ! quelle tyrannie sous le nom de protection des peuples ! quelle servitude sous le nom de liberté ! L’égalité géométrique ne pouvant donc subsister entre les hommes, ni pour les biens, ni pour les rangs, la raison, notre propre intérêt, celui de nos Concitoyens que nous ne devons jamais séparer du nôtre, nous dicte que, pour nous rendre mutuellement heureux, il faut nous contenter de cette espèce d’égalité morale, qui consiste à maintenir chacun dans ses droits, dans son état héréditaire ou acquis, dans sa terre, dans sa maison, dans sa liberté naturelle ; mais aussi dans la subordination nécessaire pour y maintenir les autres. C’est ainsi que les loix égalent tout le monde. Pouvons-nous sagement souhaiter d’être plus égaux ?

☞ Or, voilà le chef-d’œuvre de l’ordre civil & politique. Il remplace par l’équité des loix l’égalité des conditions. Il n’étoit pas possible de les mettre de niveau. Il a trouvé une balance pour les mettre du moins dans une espèce d’équilibre ; & de-là tous les avantages, tous les agrémens, toutes les beautés que nous voyons naître dans la Société civile.

☞ Le mot de condition, considéré par rapport à la naissance, s’emploie d’ordinaire avec la particule de. Être de grande condition, de condition relevée, d’honnête condition, de basse condition, de condition servile.

☞ On dit absolument homme de condition ; pour dire, de naissance ; mais il faut remarquer qu’homme de condition dit moins qu’homme de qualité. Les personnes d’une haute naissance, ou celles qui s’en piquent, sentent mieux cela que les autres. Mais le mot de condition tout seul ne laisse pas de marquer une naissance distinguée.

☞ De condition, de qualité, dans une signification synonyme. La première de ces expressions, dit M. l’Abbé Girard, a beaucoup gagné sur l’autre ; mais, quoique souvent très-synonymes dans la bouche de ceux qui s’en servent, elles retiennent toujours dans leur propre signification le caractère qui les distingue, auquel on est obligé d’avoir égard en certaines occasions, pour s’exprimer d’une manière convenable. De qualité enchérit sur de condition : car on se sert de cette dernière expression dans l’ordre de la bourgeoisie, & l’on ne peut se servir de l’autre que dans l’ordre de la noblesse. Un homme né roturier ne fut jamais un homme de qualité ; un homme né dans la robe, quoique roturier, se dit homme de condition. Il semble que de tous les Citoyens partagés en deux portions, les gens de condition en fassent une, & le peuple l’autre, distinguées entr’elles par la nature des occupations civiles, les uns s’attachent aux emplois nobles, les autres aux emplois lucratifs ; & que parmi les personnes qui composent la première portion, celles qui sont illustrées par la naissance soient les gens de qualité. Les personnes de condition joignent à des mœurs cultivées des manières polies ; & les gens de qualité ont ordinairement des sentimens élevés.

☞ Il arrive souvent que les personnes nouvellement devenues de condition donnent dans la hauteur des manières, croyant en prendre de belles ; c’est par-là qu’elles se trahissent, & font sur l’esprit des autres un effet tout contraire à leur intention. Quelques gens de qualité confondent l’élévation des sentimens avec l’énormité des idées qu’ils se font sur le mérite de la naissance, affectant continuellement de s’en targuer, & de prodiguer les airs de mépris pour tout ce qui est bourgeoisie ; c’est un défaut qui leur fait beaucoup plus perdre que gagner dans l’estime des hommes, soit pour leur personne, soit pour leur famille.

☞ Malgré les nuances qui distinguent les deux mots de condition & d’état, le premier est souvent employé dans la signification du second, pour désigner le genre de vie, l’occupation dont on fait profession. La condition de Berger est la plus ancienne de toutes les conditions. Font. Le luxe & la vanité n’ont plus de bornes, & chacun se fait de ses propres vices des vertus de sa condition. Fléch. On entend conter avec plaisir le dégoût des autres conditions, pour s’applaudir d’avoir bien choisi. S. Evr. On ne choisit point une condition par rapport aux talens que l’on a, mais seulement par certaines loix que la vanité des hommes a établies, & selon lesquelles on croit que, parce qu’on est d’une telle naissance, il faut choisir un tel genre de vie. Nic.

Notre condition jamais ne nous contente,
La pire est toujours la présente. La Font.

☞ On dit qu’une personne n’est pas de pire condition qu’une autre ; pour dire, qu’elle a droit de prétendre aux mêmes avantages, qu’elle doit être traitée aussi favorablement.

☞ Le mot de condition sert souvent parmi-nous à exprimer la domesticité, l’état d’une personne qui est en service. Famulatio, famulatus, famulitium. Alors il s’emploie d’ordinaire absolument. Être en condition, hors de condition. Entrer en condition ; changer de condition ; trouver une bonne condition.

Condition se dit aussi des articles d’un Traité. Conditiones, leges, pacta. On a capitulé avec le Gouverneur de cette Place sous des conditions honorables. Voilà les articles, les conditions du Traité.

Presque au même sens, condition se dit des clauses, charges, ou obligations qu’on stipule en toutes sortes de contrats, & qu’on appose dans des donations, des legs & des testamens. Quand cet homme fait un marché, il fait toujours bien ses conditions. Ce don est fait sous des conditions onéreuses. Un légataire ne perd pas son legs, s’il est fait sous des conditions honteuses ou impossibles.

☞ Il y a autant d’espèces de conditions, qu’il y a de différentes clauses qu’on peut insérer dans les actes.

☞ On appelle condition de droit ou légale, celle que la loi impose à quelqu’un, & qui est toujours suppléée quand même elle ne seroit pas exprimée dans l’acte ;