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ceux qui apprirent l’art de la danse aux Cariens. D’autres disent qu’elle fut inventée par Minerve, qui dansa de joie après la défaite des Titans.

La danse est un effet & une marque de joie chez la plûpart des peuples. Il y a quelques nations dans l’Amérique méridionale qui dansent pour marquer leur tristesse. Voyez le P. Pelleprat dans la seconde partie de les Relations.

Thoinot Arbeau a donné une Orchésographie. Il y a quelque temps qu’un Maître ds Danse à Paris donna une Orchésographie, l’art marque les danses & les pas, comme on marque les tons en Plainchant & en musique. Le fameux Beauchamp prétendit être l’inventeur de ce secret, & il y eut un Arrêt en sa faveur. Vigenere traite sçavamment des danses antiques dans ses Annot. sur Tite-Live, p. 1291. & suiv.

Danse, se dit aussi d’un air à danser. On dit d’un bon Danseur, qu’il danse toutes sortes de danses. Telle danse est grave.

Danse, se dit aussi quelquefois pour la manière de danser. Saltatio. Il a une danse contrainte. Il y a plaisir à voir danser ce jeune Seigneur, sa danse est noble, libre, aisée.

On dit proverbialement & figurément, commencer la danse, pour dire, être le premier attaqué, soit en guerre, soit en procès, &c. Esther en danse, pour dire, s’y mêler, s’y embarrasser, quand l’affaire est commencée. On dit aussi, après la panse vient la danse ; pour dire, qu’après avoir bien bu & mangé, on veut rire d’une autre manière. En 1313. Guy Comte de Forès, après s’être croisé avec Philippe le Bel dans la grande assemblée que le Roi tint à Paris à la Pentecôte, retourna chez lui en Forès avec un grand nombre de Gentilshommes de son pays, qui l’avoient suivi, il leur donna une grande fête, accompagnée de bals, danses, & autres réjouissances ; mais pendant qu’on dansoit, le plancher de la salle tomba, écrasa la plûpart de ceux qui étoient de cette assemblée, blessa les autres qui en moururent quelque temps après. De-là vintle proverbe, danse de Forès, pour marquer une joie excessive suivie d’une malheureuse fin. Paradin, Annal. de Bourg. L. II. p. 308.

On dit : Ne doit point se mettre en danse qui ne veut point danser, pour dire que lorsqu’on s’est embarqué dans une affaire, il en faut essuyer les mauvais événemens comme les bons.

Danse-basse. Saltatio composita. On appeloit ainsi autrefois les danses régulières & communes, telles que sont celles des honnêtes gens : ces sortes de danses furent ainsi nommées, pour les distinguer des danses irrégulières, accompagnées de sauts, de mouvemens violens, de contorsions extraordinaires, telles que sont les danses des Pantomimes & des Saltimbanques : ces dernières sortes de danses se nommoient danses par haut. Saltatio sublimior.

Danse du Trihory. Danse ancienne de France. Saltatio trichorica. Eutrapel dans ses contes en parle ainsi : La danse du Trihory est trois fois plus magistrale & gaillarde que nulle autre. Et plus bas. La voix & le mot sont par entrelaceures, petites pauses & intervalles rompus, joints avec le nerf & corde de l’instrument, en sorte que la force de sa parole & sa grace y demeurent prins & englués, sans espérance de les pouvoir séparer, pour demeurer en vrai ravissement d’esprit, soit à joie, soit à pitié.

Danse Suisse. Saltatio Helvetica. Sorte de danse propre des Suisses, qui consiste dans un continuel traînement de jambes. Voyez les Notes sur Rabelais, p. 164. liv. IV. c. 38.

DANSER, v. n. Mouvoir son corps en cadence, à pas mesurés au son de la voix ou des instrumens. Saltare, movere corpus ad numeros. Saluste reproche à Sempronia, qu’elle sçavoit danser avec plus d’art & de curiosité, qu’il n’est bien séant à une honnête femme. S. Evr. Sans mentir cette Dame d’hier au soir est bien laide, & danse d’un méchant air. Let. Port.

☞ On le dit activement. Danser une courante, une sarabande, un branle, une bourée. Danser un ballet.

Ménage, après Saumaise, dit que ce mot vient de densare, signifiant condenser & fouler, parce que les Foulons avoient coutume de sauter & de danser en foulant leurs draps. Le mot danser vient de l’Allemand dantzen, qui veut dire la même chose. Voyez les étymologies rapportées ci dessus au mot Danse.

On dit proverbialement, qu’on fera bien danser quelqu’un, pour dire, le menacer de lui donner bien de l’exercice, & qu’on le mettra bien à la raison. On dit aussi d’un homme qui est entré dans une méchante affaire, qu’il en dansera, pour dire qu’il lui en coûtera bon. On dit aussi, qu’un homme ne sait plus sur quel pied danser, pour dire, qu’il ne sait plus où trouver de quoi vivre, qu’il ne sait plus que faire. On dit aussi, qu’un homme a dansé un branle de sortie, quand il s’en est allé de quelque lieu, ou quand on l’en a chassé. On dit qu’un homme paye les violons, & que les autre dansent, pour dire, qu’un homme fait tous les frais d’une affaire, & que les autres en ont tout le profit, ou ont l’honneur & le plaisir de la fête. On dit, toujours va qui danse, pour dire, qu’il n’importe pas de bien danser, pourvu qu’on ait la complaisance de danser avec les autres. On le dit figurément d’un homme qui fait tant bien que mal, mais le mieux qu’il peut, ce qu’il a à faire. On dit encore, il la dansera tout du long, c’est-à-dire, on le traitera à la rigueur, on ne lui donnera point de quartier.

Déjà plus d’une fois je vous avais fait grâce ;
Mais puisque pour le coup je vous tiens dans ma nasse,
Tout du long vous la danserez. La Font.

Danser la pâte. Terme de Boulanger, particulièrement en usage dans les Boulangeries où l’on cuit le biscuit de mer. C’est après que la pâte a été suffisamment pêtrie dans le pêtrin, la retourner à plusieurs fois sur une table, jusqu’à ce qu’elle soit bien ferme & ressuyée ; on la danse ordinairement pendant un quart-d’heure.

Dansé, ée. part. Un ballet bien dansé.

DANSEUR, euse. Nom qu’on donne généralement à tous ceux qui dansent. Saltator, saltatrix. Voilà un bon danseur. Cette Dame est la meilleure danseuse du monde. Cependant il se dit plus ordinairement d’un homme dont la profession est de danser. Danseurs, Danseuses de l’Opéra.

Danseur de Corde. Homme qui danse sur une corde tendue en l’air. Schœnobates. Un Professeur de Philosophie de Dantzic fit en 1702 une dissertation sur les danseurs de corde, de funambulis, pleine d’érudition & de grande connoissance de l’antiquité. Il définit un danseur de corde, un homme qui marche sur une grosse corde attachée à deux poteaux opposés, c’est là précisément ce que signifie le mot Latin funambulus, composé de funis, une corde, & d’ambulo, je marche : mais nos danseurs de corde font plus, non-seulement ils marchent, ils dansent encore & voltigent sur la corde.

Les Anciens ont eu leurs danseurs de corde aussi bien que nous ; les noms de Neurobates, Schœnobates, & en Latin funambulus, qui marche sur la corde, se trouvent part-tout. Ils avoient encore des Cremnobates & des Oribates, c’est-à-dire, des gens qui marchoient sur le bord des précipices. Bien plus, Suétone dans Galba, c. 6. Séneque, dans son Epitre 85. & Pline, L. VIII. c. 2. parlent d’Eléphans auxquels on apprenoit à marcher sur la corde. Acron, ancien Grammairien & Commentateur d’Horace, dit sur la Satyre Xe. du premier Livre, que Messala Corvinus s’est le premier servi du mot funambulus, & Térence ensuite. M. Grodeek, qui est le Professeur donc nous avons parlé, prétend qu’il se trompe,