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Page:Dictionnaire de Trévoux, 1771, III.djvu/146

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DEC

E ; car c’est la lettre la plus commune de toutes en notre langue. 3o. Pour connoître un U, il faut prendre le caractère qui est toujours précédé d’un certain autre, qui sera le Q. 4o. L’I se connoît aussi par le moyen du Q ; car comme QUE & QUI sont les seuls en notre langue qui, commençant par un Q, n’ont que trois lettres, lorsqu’on trouve un mot de trois caractères, dont la première est un Q, & dont la dernière n’est pas un E, c’est un I. 5o. Dans les mots de deux caractères l’un ou l’autre est une voyelle. 6o. Des trois premiers caractères d’un mot l’un est une voyelle. 7o. Les voyelles étant une fois déchiffrées, on connoît aisément les consonnes par la liaison qu’ont ordinairement certaines consonnes avec certaines voyelles.

DÉCHIFFRER, v. a. Trouver l’alphabet d’un chiffre, l’explication d’une lettre écrite en chiffre. Litteras occultis notis exaratas explicare. On a intercepté des lettres ; mais jamais on ne les a pu déchiffrer. Les anciens n’ont guère connu l’art de chiffrer, ni de déchiffrer. Voy. Chiffrer. Les Modernes l’ont poussé bien avant, & l’ont appellé Polygraphie & Stéganographie. Trithême, Vigenere, Aporta, Nicéron, ont écrit de l’art de déchiffrer.

Déchiffrer, signifie aussi lire un titre, un acte dont l’écriture est ancienne, ou à demi effacée, ou si mal écrite, qu’il semble qu’elle soit écrite en chiffre. Caracteres veteres, & deletos pœnè diuturnitate temporis legere. Ce curieux est un savant Antiquaire, qui déchiffre les plus vieilles inscriptions, les titres les plus effacés. Les Sergens de village écrivent si mal, qu’on a bien de la peine à déchiffrer leurs exploits. Pour déchiffrer les écritures effacées, il faut faire tremper de la noix-de galle dans du vin blanc, ou de l’eau-de-vie ; & de la liqueur il en faut frotter l’écriture ; elle deviendra noire & lisible.

Déchiffrer, se dit aussi figurément, pour dire pénétrer dans le fond d’une affaire fort difficile, la débrouiller ; & aussi, expliquer ce qu’il y a de plus obscur ou de plus subtil dans un Auteur, dans une science, expliquer un terme obscur. Du moins faudroit-il déchiffrer en marge tous ces termes inconnus, mais le plus sûr est d’en mettre d’autres qui soient intelligibles à tout le monde. Bouh. Abstrusa quæque & maximè recondita & intricata indagare, explicare, expedire, involutam ambagibus scriptorum mentem penetrare, introspicere, perspicere. Scaliger, Casaubon, Lipse, Erasme & autres Critiques du siècle passé ont déchiffré bien des passages des Anciens. Il faut un habile Rapporteur pour déchiffrer ce procès, tant il est embrouillé ; déchiffrer une intrigue.

☞ On le dit aussi des personnes. Déchiffrer quelqu’un, dit l’Académie, c’est faire connoître un homme, en découvrant ses inclinations, & ce qui lui est arrivé de plus secret. Il se prend plus ordinairement en mauvaise part. On a parlé de lui dans une Compagnie où on l’a bien déchiffré. Nudare alicujus animum, facta, &c. Je ne crois pas cette façon de parler bien noble, ni fort en usage, même dans le style familier.

Déchiffré, ée. part. Il a les sens de son verbe en Latin & en François.

DÉCHIFFREUR. s. m. Celui qui a la clef d’un chiffre, ou qui déchiffre les lettres, sans en avoir le chiffre. Explicator, indagator. On le dit aussi de celui qui découvre les choses cachées, soit dans les sciences, soit dans les affaires. C’est un grand déchiffreur.

DÉCHIQUETER, v. a. Couper en menus morceaux. Minutatim incidere. Cet homme a été assassiné, & son corps a été déchiqueté en mille pièces. Déchiqueter la peau avec des lancettes, avec des fers à scarifier. Les soldats déchiquetèrent les corps morts d’une étrange façon. Ablanc.

Déchiqueter, se dit aussi des taillades & coupures qu’on fait sur des étoffes pour leur servir d’ornement. La mode est passé de déchiqueter les habits.

L’origine de ce mot peut venir du mot chiquet, qui signifie un petit morceau ; ou d’échiquier, parce qu’on a pu commencer à déchiqueter par menus carreaux.

Déchiqueté, ée. part.

DECHIQUETURE. s. f. Découpure, moucheture, taillades faites sur une étoffe. Incisio.

DECHIRAGE. s. m. On appelle à Paris Bois de déchirage, le bois qui provient des vieux bâteaux que l’on dépèce.

DÉCHIREMENT. s. f. Action de mettre en pièces, rupture. Scissura, laceratio. N’avoit-on pas raison de reprocher au Grand Prêtre son animosité & son emportement, qu’il avoit suffisamment fait paroître par le déchirement de ses habits ? M. Fleury. Ce mot est rarement employé au propre. Il est plus en usage au figuré : déchirement de cœur, douleur vive & amère ; déchirement de conscience. Le P. Bouhours ne l’approuve pourtant point. Déchiremens d’entrailles causés par la colique.

On trouve déchirement pris dans un sens propre en parlant de la solution de continuité faite en longueur dans les parties membraneuses du corps humain. La cause des hernies ventrales est toujours un déchirement qui ne surviendra que par quelque effort très-rude, & qu’aux endroits où il y aura eu abscès, ou plaie, qui n’ayant pas été bien cicatrisée, laissera le péritoine sujet à se déchirer, ou à se r’ouvrir. Dionis.

DÉCHIRER, v. a. Mettre en pièces sans user d’instrumens tranchans. Lacerare, laniare, discerpere. On ne le dit au propre que des étoffes, de la toile, du papier, de la peau, des chairs & autres choses de cette nature. Les Juifs déchiroient leurs vêtemens quand ils entendoient blasphémer. Il a fallu presque lui déchirer le manteau pour le retenir à dîner. Ils commencèrent à crier qu’on leur laissât déchirer le parricide. Vaug. On le déchiroit de coups. Maucroix. Je veux cependant que vous sachiez que je me sens depuis quelques jours en état de déchirer & de brûler ces gages de votre amour qui m’étoient si chers. Let. Portug. Les Cailloux & les ronces lui avoient déchiré les pieds. Bouh. Xav. L. V.

Nicod tient que ce mot vient du Latin dilacerare, ou du Grec σχίζω, qui signifie la même chose.

Déchirer un bateau. C’est le mettre en pièces, le dépecer.

Déchirer la cartouche avec les dents. Neuvième commandement de l’exercice. On porte la cartouche à la bouche, le bras tendu à la hauteur du bout du canon, le bout déchiré en haut à un demi-pied éloigné du bout du canon.

Déchirer, se dit figurément des choses spirituelles & morales, pour signifier Agiter, tourmenter par des mouvemens différens. Lacerare, dilacerare, laniare. La jalousie déchire le cœur de ceux qui en sont possédés. Oreste se sentit déchiré par de cruels remords. S. Evr. L’effort que nous faisons pour arracher le trait qui nous blesse, l’enfonce encore davantage : l’ame se déchire elle-même par cette nouvelle agitation.

Trop rigoureux devoir,
Qui déchire mon cœur & ne l’ébranle pas. Corn.

☞ On dit dans ce sens, des douleurs vives & aiguës, qu’elles déchirent l’estomac, qu’elles déchirent les entrailles.

☞ On dit encore figurément qu’une chose déchire le cœur, les entrailles, pour dire qu’elle touche sensiblement.

Déchirer signifie encore, Partager, diviser, ruiner, désoler. Miscere, perturbare, depopulari, devastare, desolare. L’Eglise a été déchirée par ses propres enfans. Boss. Les Nations barbares déchirèrent l’Empire, & le mirent en pièces. La guerre civile déchira cruellement le Royaume, & le mit sur le penchant de sa ruine.

Déchirer. Déchirer la robe, la tunique de Jesus-Christ, en style dogmatique signifie diviser l’Eglise, rompre l’unité, faire schisme. C’est que dans le langage des Pères de l’Eglise, la robe ou