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DER

der derrière soi ; pour dire, que quand on a bien commencé, il faut continuer, toujours avancer.

Derrière, se dit proverbialement en ces phrases. On dit qu’un homme a montré son derrière ; pour dire qu’il n’a pu tenir les choses qu’il s’étoit vanté de faire, ou qu’il a pris la fuite. On dit aussi, aller au-devant par derrière ; pour dire, prévenir adroitement quelque disgrâce, & y remedier ; ou bien se préparer quelque avantage par quelque précaution. On dit aussi d’un homme rusé, d’un chicaneur, qu’il a toujours une porte de derrière ; pour dire ; qu’il a dans l’esprit quelque ruse, fuite ou échapatoire, pour s’exempter de tenir ce qu’il promet. On dit aussi, qu’on a mis une chose sens devant derrière ; pour dire qu’on a renversé l’ordre & la disposition. On dit encore, qu’un homme fait rage des pieds de derrière ; pour dire qu’il fait tous ses efforts, qu’il met tout en usage pour réussir. On dit,

A passage & à riviere,
Laquais devant, Maître derrière.

Derrière. Terme de vénerie, dont on se sert quand on veut arrêter un chien, & le faire demeurer derrière soi.

DERS. s. m. Vieux mot. Ciel ou dais tendu sur la table du Roi. On a dit aussi Derselet, pour signifier la même chose.

DERSOW. Voyez DIRSCHOW.

DÉRU. s. m. Vieux mot, qu’on a dit pour signifier un Chêne. Il vient du Grec δρῦς ; qui veut dire la même chose.

DERVÉ, ée. adj. Vieux mot. Fou, sot, impertinent. On a dit aussi derver ; pour dire, devenir fou, du Latin deviare, se dévoyer, & derverie, pour folie.

DERVICHE. s. f. C’est une sorte de danse. Danser la Derviche.

DERVIS, ou DERVICHE. Religieux Turc. Religiosioris inter Mahometanos instituti cultor. Espèce de Moines qui font profession de pauvreté & mènent une vie fort austère.

Les Dervis qu’on appellent autrement Mévélavites, sont une espèce de Religieux Mahométans, dont le chef ou le fondateur fut un nommé Mévélava : ils sont fort nombreux. Leur premier Monastère est celui qui est proche de Cogni en Natolie ; c’est-là que le Général fait sa résidence, & que se tiennent les assemblées générales de cet Ordre, dont toutes les maisons dépendent de Cogni. C’est Ottoman I. qui a donné ce privilége à ce Monastère. Les Dervis se piquent d’une grande modestie, de patience, d’humilité même, & de charité. Ils vont toujours les jambes nues, & l’estomac découvert, ils se brûlent souvent le corps avec un fer chaud pour s’exercer à la patience. Ils jeûnent tous les jeudis, ne mangeant ces jours-là qu’après le soleil couché. Tous les mardis & les vendredis ils tiennent des assemblées, auxquelles les supérieur de chaque maison préside. L’un d’eux joue de la flûte, & tous les autres dansent, en tournant en rond avec le plus de vîtesse qu’il leur est possible. L’accoutumance qu’ils ont à cet exercice dès leur jeunesse, fait qu’il ne les étourdit point. Ils observent cette pratique avec beaucoup d’exactitude, & de Religion, en mémoire de ce que Mévélava leur Patriarche tourna ainsi miraculeusement pendant quatre jours, sans rien prendre, pendant que son compagnon Hamsé jouoit de la flûte ; après quoi il tomba en extase, & reçut des révélations admirables pour l’établissement de son Ordre. Ils croient que la flûte est un instrument consacré par Jacob & les Bergers de l’ancien Testament, parce qu’ils chantoient les louanges de Dieu sur la flûte. Les Dervis font profession de pratiquer la pauvreté, la chasteté & l’obéissance, & la gardent en effet tandis qu’ils restent Dervis ; mais, s’ils veulent sortir pour se marier, on le leur permet sans difficulté. La plupart sont de grands charlatans ; les uns s’exercent à faire des tours de passe-passe, pour amuser le peuple, d’autres donnent dans la sorcellerie & dans la magie. Tous, contre le précepte de Mahomet, boivent beaucoup de vin, d’eau-de vie, & d’autres liqueurs qui enivrent pour se donner la gaieté que demande leur Ordre.

Outre leur chef Mévélava, il y a des Monastère qui ont des espèces de Saints particuliers qu’ils honorent. Tel est le Kederle ou Chederles, honoré dans un Monastère d’Egypte, & que quelques-uns prétendent être S. Georges, dont le culte est si répandu dans l’Orient, & que d’autres plus probablement prennent pour le Prophète Elie, que les Arabes nomment ainsi. Les Dervis sont grands coureurs &, sous prétexte de prêcher l’avancement de leur foi, ils vont continuellement d’un lieu en un autre ; ce qui fait qu’on s’en sert souvent pour espions.

Quelques-uns nous ont voulu décrire la façon de vivre des Derviches comme fort barbare & fort sauvage ; je ne sais si cela a été vrai autrefois, mais aujourd’hui ce sont les plus polis dans la conversation de tous les Turcs. Hazréti-Meulana quitta son Royaume de Cogna pour en instituer l’Ordre, d’où vient qu’on les appelle Meuleri, du nom de leur Fondateur. Ils ne sont pas revêtus de peau de mouton, comme on dit qu’ils étoient autrefois. Leur habit ordinaire est une veste de bure, ouverte au sein, qui leur vient jusqu’aux genoux : celle qui leur sert de manteau est presque toujours blanche : ils ont un bonnet de poil de chameau, qui est fait à peu près comme nos bonnets de nuit, & quelques-uns les enveloppent en bas par deux ou trois tours de serge de même étoffe & de la même couleur, pour faire une espèce de petit turban. Les plus austères ne portent point de chemises. Ils ont les jambes nues, plusieurs ont les sourcils & les paupières peintes de furme, qui est une couleur noirâtre. Ils sont tous fort propres, ont la barbe bien peignée, & je ne sais si en cela ils veulent imiter Platon, de qui ils se disent les disciples en leur philosophie, parce que le premier principe en est l’amour. Quelques-uns les accusent de l’arte sottile. Je ne voudrois pas les en absoudre tous, quoiqu’ils témoignent en abhorrer l’abominable pratique, ni croire qu’ils en soient tous coupables, quoiqu’il n’y ait, dans leur aveu & dans leurs vers que trop de raisons de les en soupçonner. Ils se détaillent & se stigmatisent la chair pour l’objet de leur passion, mais ce n’est pas avec cette inhumanité que quelques-uns ont figurée : ils se contentent de le faire légèrement sur les bras, sur la poitrine & particulièrement sur le cœur, & de brûler ces parties en y appliquant des bougies ardentes.

Ils ont quelques pratiques de dévotion qui se font publiquement, & avec beaucoup de modestie, quoiqu’elles soient fort ridicules. Deux fois la semaine, un des leurs fait une prédication dans leur Couvent, & les femmes qui par-tout ailleurs n’ont point d’entrée aux lieux où sont les hommes, y assistent par un privilège particulier. Celui qui prêche prend pour texte quelque verset de l’Alcoran, & je vous assure que les plus dévots Chrétiens pourroient profiter de la morale de son sermon. Cependant les Derviches sont renfermées dans une balustrade pour n’être pas importunés de la foule des assistans, & pour n’être pas troublés dans l’exercice de leur Ordre. La prédication étant finie, les Chantres qui sont dans une galerie, comme sont ici les orgues dans nos Eglises, accordant leurs voix avec des flûtes, qui, pour être merveilleusement harmonieuses, sont défendues à toute autre sorte d’usage, commencent une hymne, à la cadence du tambour de Biscaye. Durant le premier verset de cette hymne tous les Derviches sont dans une posture fort dévote, assis sur les talons, les bras croisés, & la tête baissée. Le Supérieur qui est dans le Québle, orné d’une étole de poil de chameau, frappe des mains aussitôt que le second commence, & tous les Derviches s’étant incontinent levés, le plus proche de lui pas-