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DÉSERVIR. v. a. Vieux mot. Mériter.

DÉSERY. Voyez DIDIER.

A LA DÉSESPÉRADE. adv. A la manière d’un désespéré. Il s’en va à la désespérade. Jouer à la désespérade. Se battre à la désespérade. Il est du style familier.

DÉSESPÉRANCE. s. f. Vieux mot, qui a été dit pour perte d’espoir.

DÉSESPÉRANT, ante. p. prés. & adj. du verbe désespérer. Qui désespère, qui jette dans le désespoir. Molestissimus, spem omnem adimens. Cela est désespérant. Que d’idées lugubres ! que d’images effrayantes & désespérantes ! Bourdal. Exh. T. I. p. 86. On me traverse dans cette affaire, on me fait chicanne sur chicanne ; cela est désespérant. La doctrine de la réprobation positive, de la grâce nécessitante sont des doctrines désespérantes. Cette pensée est désespérante.

DÉSESPÉRÉMENT. adv. D’une manière désespérée. Desperanter. Quand on n’attend point de quartier, on se bat désespérement. Les âmes qu’on avoit cru le plus désespérément malades, se portent bien. Pasc.

☞ DÉSESPÉRER, v. a. Faire perdre l’espérance à quelqu’un, le tourmenter au dernier point, le jeter dans le désespoir. Alicui spem omnem eripere, adimere, aliquem ad desperationem adigere. Cette femme désespère tous ses Amans par sa cruauté. Cette affliction, cette perte le désespère, le fait mourir. Les Héros de l’antiquité sont si fort au-dessus de nous, qu’au lieu d’exciter notre courage, ils désespèrent notre ambition. Balz.

Il met tout son plaisir à vous désespérer. Racine.

Désespérer, est aussi neutre, & signifie perdre l’espérance. Spem perdere, amittere de salute, salutem ; soluti desperare. Il ne faut jamais désespérer du salut de son prochain, de la conversion d’un pécheur. Il désespère maintenant de gagner son procès. Les gens qui désespèrent de tout, & qui n’attendent aucun bon succès, s’endorment pour ainsi dire, dans leur infortune. M. Sc.

Désespérer, est aussi réciproque & signifie, s’affliger beaucoup, se tourmenter avec de grandes démonstrations de douleur. Il vient d’apprendre la mort d’un fils qu’il aimoit, il se désespère.

Désespéré, ée. part. & adj. Desperatus. Sénèque fait dire à Caton prêt à se tuer, puisque les affaires du genre humain sont désespérées, mettons Caton en sûreté. Nicot. Ceux qui se sont tués eux-mêmes, regardoient leurs maux comme intolérables ; autrement ils n’auroient pas pris ces résolutions désespérées, Id. On dit, un homme désespéré, pour dire si malade qu’on n’en attend que la mort. On dit qu’un homme est désespéré des Médecins, pour dire que les Médecins n’ont plus aucune espérance de sa guérison.

On dit d’un jeune homme incorrigible qu’il est désespéré.

Désespéré, ée. Qui a perdu tout espoir. Il se prend aussi substantivement. C’est un coup de désespéré. Les désespérés sont à craindre. C’est un brave qui combat en désespéré. On a loué dans l’antiquité ces illustres désespérés, qui ont cherché la mort avec constance. M. Sc.

C’est un désespéré qui peut tout attenter. Corn.

On dit, il court comme un désespéré ; il mange comme un désespéré ; il saute, il crie comme un désespéré, pour dire, avec violence, avec excès.

DÉSESPOIR. s. m. Passion de l’ame qui la trouble, qui lui fait perdre toute espérance, agitation violente de l’ame, causé par l’idée d’un mal affreux, que l’on regarde comme inévitable, ou par la perte d’un bien, que l’on regarde comme irréparable. Desperatio. J’aime un désespoir qui ne s’exhale pas trop en paroles ; mais où la nature accablée succombe sous la violence de la douleur. S. Evr. Souvent un heureux désespoir fait sortir des plus grands périls, & redouble l’audace. Vous avez forcé les ennemis sans craindre ni leur nombre, ni leur courage, & non pas même leur désespoir. Flech. En se formant une trop haute idée de perfection, on se fait une frayeur, ou plutôt un désespoir de la vertu. Id. L’espérance naît quelquefois du désespoir. Vaug. La prudence elle-même nous avertit qu’elle ne se mêle point de régler les choses extrêmes, ni de conduire le désespoir. Balz. Les désespoirs des amans sont souvent bien trompeurs. M. Scud. Le désespoir est le partage des lâches. B. Rab.

Et si ce grand dessein surpasse ma valeur,
Du moins ce désespoir convient à mon malheur. Racine.

Le désespoir sied bien à des hommes perdus ;
C’est le secours qui reste à ceux qui n’en ont plus. Brebeuf.

Laissez-moi désormais tout à mon désespoir ;
C’est de lui que mon cœur empruntera de l’aide. Mol.

☞ On a quelquefois employé ce mot au pluriel. De-là naissoient les murmures, les cabales, les désespoirs de cette jeunesse mal contente. Bouh. Xav. L. VI. Corneille l’a employé de même dans les Horaces. On ne le dit plus aujourd’hui au pluriel. Il fait pourtant, dit M. de Voltaire, un très-bel effet. Mes déplaisirs, mes craintes, mes douleurs, mes ennuis, disent plus que, mon déplaisir, ma crainte, &c. Pourquoi ne pourroit-on pas dire, mes désespoirs, comme on dit, mes espérances ? Ne peut-on pas désespérer de plusieurs choses, comme on peut en espérer plusieurs ?

Désespoir, signifie aussi le péché par lequel l’homme désespère de son salut, & de la miséricorde de Dieu ! C’est-à-dire une disposition de l’esprit qui nous porte à croire que les péchés qu’on a commis, sont trop grands pour pouvoir en obtenir le pardon, & que Dieu est un juge inflexible qui ne peut les remettre. Voy. Espérance Chrétienne.

Grand Dieu ! tes jugemens sont remplis d’équité :
Toujours tu prends plaisir à nous être propice ;
Mais j’ai tant fait de mal que jamais ta bonté
Ne peut me pardonner sans blesser la justice.

On dit en badinant, d’une femme qui n’est pas cruelle, qu’elle n’est pas accoutumée à mettre ses amans au désespoir.

Désespoir, dans une signification très-étendue, se dit au figuré & par exagération pour un grand déplaisir. Je suis au désespoir de l’accident qui vous est arrivé ; de ne pouvoir faire ce que vous désirez. Grave, molestum est.

☞ Alors on s’en sert, non pour marquer cet abattement de l’ame, qui ne croit pas pouvoir surmonter le mal qui la presse, mais seulement pour faire entendre qu’on est fâché de quelque chose que l’on blâme & que l’on désapprouve.

Je suis au désespoir quand on met en usage,
Tout ces termes communs qui sentent le Bourgeois,
Et moi lorsque j’entends un ignoble langage,
J’ai l’oreille écorchée, & je suis aux abois. S. Evr.

Désespoir se prend aussi quelquefois pour ce qui cause le désespoir même. La fortune de ce méchant homme est le désespoir des gens bien. C’est-là mon désespoir.

Il se dit aussi des choses qui sont en un si haut degré d’excellence, qu’elles sont Inimitables. L’Iliade d’Homère est le désespoir de tous les Poëtes. Ac. Fr.

Désespoir, dans l’histoire des modes. C’est le nom d’un ruban que les Dames portent à leur tête, lorsqu’elles sont coëffées en négligé. Le désespoir forme une boucle sur le haut de la tête. Il descend des deux côté sur le derrière de la tête, il s’y croise, & re-