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CRO

Grégoire de Tours est le premier qui ait parlé d’un soutien pour les pieds des crucifiés, πηγμα, selon la remarque de Nansius sur la Paraphrase de Nonnius sur S. Jean XIX. 8. & de Vossius dans son Harmon. Evang. L. II. c. 7. §. 28. Bien des gens ont embrassé ce sentiment, entre autres Feuardent dans ses Notes sur S. Irénée, L. II. c. 42. où il le prouve par plusieurs très-anciennes Images du Crucifix, qu’il avoit vues à Verdun, à Cologne, à Trêves, &c. & qui avoient toutes cette espèce de petit banc. On assure que l’on conserve dans le Monastère de Liessies en Hainaut, une Médaille Grecque dont Juste Lipse a parlé, L. II. De Cruce, c. 10. où l’on voit ce marche-pied, aussi-bien que dans plusieurs autres Images dont il est fait mention dans le Roma subterranea de Paulus Aringhius. Cependant, malgré cette nuée de témoins, plusieurs gens habiles soutiennent le contraire. Saumaise, dans sa première épitre sur la Croix, soutient que ce petit banc est de l’invention de Grégoire de Tours. George Callixte, dans l’Addition qu’il a faite au livre de Lipse sur la Croix, Dilherus dans ses Notes sur le Crucifiement, & Vossius dans son Harmonie Evangélique, sont du même sentiment. Voyez encore Anton. Binæus L. III. De Morte J. C. c. 5. 11. 12. où il le prouve avec beaucoup de soin.

Il étoit si difficile aux exécuteurs de ce supplice d’avoir à élever une croix chargée d’un corps, que, quand on voudroit qu’ils n’eussent point eu d’égard aux douleurs affreuses que les secousses de la croix auroient causées au patient, on ne peut presque douter que pour s’épargner à eux mêmes beaucoup de peine, ils n’élevassent & n’affermissent bien la croix dans son trou, avant que d’y attacher celui qui y étoit condamné.

Quant à la dernière question, S. Ambroise, Hésychius, S. Augustin, S. Bonaventure, & d’autres anciens &, parmi les modernes, Saumaise, Gérard-Jean Vossius, Bynæus, & beaucoup d’autres veulent que J. C. fut attaché tout nu à la croix ; que, c’étoit la coutume des Anciens ; qu’Artémidore le dit positivement dans son second livre des songes, c. 58. γυμνοὶ γὰρ σταυρῶνται ; qu’Arrien montre la même chose dans sa Dissertation sur Epictète L. IV c. 26. quand il dit qu’on sort du bain tout nu, & qu’on s’étend comme les crucifiés, pour être frotté. Mais on répond à cela que les paroles d’Artémidore ne signifient pas qu’on fût entiérement nu à la croix ; que pour Arrien sa comparaison tombe, non sur ce qu’on est nu au bain comme un crucifié, mais sur ce que pour se faire frotter on s’étend comme un crucifié. Ainsi plusieurs Savans croient que le sentiment contraire est plus probable ; que la pudeur ne permettoit pas qu’on en usât autrement, que les Images du Crucifix sont toutes couvertes, au moins en partie ; qu’à Aix-la-Chapelle on croit encore avoir le linge dont le Sauveur fut ceint ; que plusieurs anciennes Images ou statues le représentent même vêtu d’une espèce de jupon qui prend à la ceinture, & descend jusqu’aux genoux ; que dans l’Eglise de Nantes, que Félix Evêque de Nantes fit bâtir, & qui fut consacrée en 568, il y fit mettre un Crucifix d’argent, ceint d’un jupon d’or, embelli de pierres précieuses ; & que ce sont les Peintres qui ont introduit la coutume de ne mettre au Crucifix qu’un linge autour de la ceinture.

On appelle Invention de Sainte Croix, la fête qui se solemnise le 3 de Mai en mémoire de ce que Sainte Hélène mere de Constantin trouva la vraie croix de Nôtre-Seigneur bien avant en terre sur le Calvaire, où elle fit bâtir une Eglise pour y en laisser une partie, l’autre ayant été depuis apportée à Rome en l’Eglise de Sainte Croix de Jérusalem. Pia inventæ Sanctæ Crucis memoria, celebritas, festivitas. Théodoret raconte qu’on trouva les trois croix, de J. C. & des deux brigands crucifiés avec lui, & que pour faire le discernement, on toucha une Dame malade, qui se sentit guérie par l’attouchement de la vraie Croix. Cousin. Eusèbe rapporte que le Grand Constantin vit en songe une Croix lumineuse, avec ces paroles, tu vaincras à la faveur de ce signe. Id. Voyez, sur l’invention de la Croix, Théodoret, Hist. Eccl. L. I. c. 18. Ruffin L. I. c. 7. 8. Socrate L. I. c. 17. Sozom. L. II. c. 1. S. Ambroise De obitu Theod. n. 42. S.Cyrille de Jérusalem, Epitre à l’Emp. Const.

Exaltation de la Sainte Croix, est une autre Fête qui se fait le 14 Septembre en mémoire de ce qu’Héraclius rapporta sur le Calvaire la vraie Croix que Cosroès Roi des Perses avoit enlevée quatorze ans auparavant, lorsqu’il avoit pris Jérusalem sur l’Empereur Phocas. Relatæ a Persis Sanctæ Crucis memoria.

Croix, se dit aussi des représentations & figures de la Croix, qui sont dans les Eglises & les maisons chrétiennes, & sur les chemins. Crux. On va à la Procession avec la Croix & les chandeliers. On porte des croix d’argent aux enterremens des personnes riches. On appelle ces croix processionnells ; & quand elles sont d’argent, elles doivent être contremarquées à la douille. On dit en ce sens, qu’il faut avoir la croix & la bannière, la croix & l’eau bénite pour avoir quelqu’un ; pour dire, qu’on a de la peine à en jouir. On dit aussi qu’il faut faire la croix à la cheminée, quand on reçoit quelque visite qui surprend, ou lorsqu’il arrive quelque chose d’extraordinaire. On dit en ce sens figurément, d’un homme à qui on dispute un bénéfice dont il est en possession, qu’il se défend avec le bâton de la croix, des pierres du clocher.

Jusqu’à Constantin, jusqu’au quatrième siècle, on ne grava point la croix par-tout comme on le fait : comme la Religion n’avoit pas encore la liberté qu’elle eut depuis, on ne le pouvoit faire ; mais, depuis que Constantin l’eut embrassée, on grava, on peignit, on mit des croix presque partout, sur les temples, sur les vases sacrés, sur tous les habits sacerdotaux, & jusque sur la couronne des Césars & des Augustes.

Macaire, Patriarche de Jérusalem, ordonna le premier que la croix seroit placée dans un lieu surélevé de l’Eglise. On a toujours adoré, c’est-à-dire, honoré la croix dans l’Eglise ; & comme les Hérétiques nous le reprochent, les Payens le reprochoient aux premiers Chrétiens, ainsi qu’il paroît par Minutius Felix & par Tertullien, Apolog. c. 16. Autrefois les témoins qui signoient dans les Actes, ajoutoient quelquefois des croix à leurs seings. Voyez la Diplomatique du P. Mabillon, p. 265. Il paroît par les vingt-neuvième & trentième canons du Concile de Clermont en 1095. que les croix plantées dans les grands chemins étoient alors des asiles comme les Eglises.

Croix, se dit aussi des mêmes figures qui servent d’ornemens & de marques pour quelque Dignité. Les Evêques, les Abbés Réguliers, portent une croix pectorale, une petite croix d’or pendue au cou. La coutume de porter une croix pendue au cou, est fort ancienne. S. Procope, Martyr sous Dioclétien, en portoit une, selon le témoignage de Nicéphore, L. VII. C. 15. du Concile de Nicée Act. IV. & de Métaphraste dans Surius au huitième de Juillet. Le P. Gretser Jésuite, De Cruce, L. I. c. 58. L. II. c. 27. & 34 & Rosweid, Onom. en rapportent beaucoup d’autres exemples.

Croix de Caravaca. Voyez CARAVACA.

Porte-Croix, est l’Aumonier d’un Archevêque, d’un Primat, qui porte une croix devant lui dans les cérémonies. Crucifer. Un Patriarche porte une croix double, & le Pape une croix triple dans leurs Armes. Le Pape fait porter la croix par-tout. Les grands Patriarches la font aussi porter par-tout, hors de Rome ; les Primats & Métropolitains, & ceux qui ont droit de Pallium, dans leur jurisdiction. Grégoire XI. a fait défense aux Patriarches, Prélats & Evêques, de la faire porter en présence des Cardinaux.

Les Archevêques font porter la croix devant eux